Alors que l'on s'achemine vers un consensus autour du projet de la loi organique relative à la Chambre des Représentants, la question de cette fameuse « liste nationale » continue toujours de susciter le débat et constituer un sujet de discorde entre les différents protagonistes. Depuis le lancement des concertations entre le Ministère de l'Intérieur et les partis politiques, on aura vu de toutes les couleurs au sujet de cette question de liste nationale. On se rappelle, en effet, que dans le projet initial, il est proposé une liste nationale composée de 90 membres avec parité femmes-jeunes de moins de 35 ans. Cette proposition, visiblement mal conçue, a suscité des critiques de toutes parts. Tout d'abord, le mouvement féminin est monté au créneau considérant que la liste nationale est un « acquis » pour les femmes et pour elles seulement. A l'appui de leurs revendications, les nouvelles dispositions constitutionnelles qui instaurent la parité hommes-femmes et les expériences internationales en matière de discrimination positive. Ensuite, les jeunes (à travers leurs différentes organisations) par crainte de voir cette disposition supprimée, se sont à leur tour mobilisé en faisant valoir leur droit à bénéficier d'une « discrimination positive » dans la mesure où ils ne pourraient pas se faire élire par la voie normale face à la force des notables. Les positions des partis politiques sont restées très éloignées les unes des autres : qui pour une liste nationale réservée aux femmes sans les jeunes ; qui pour une liste nationale hommes-femmes sans limite d'âge ; qui pour deux listes nationales : l'une pour femmes et l'autre pour jeunes ; qui pour la présence des jeunes en limitant l'âge à 40 ans ! Par ailleurs, il est symptomatique de relever que les partis qui font le plus de « tapage » en faveur de la représentativité des jeunes sont ceux là mêmes qui étaient le plus décriés par le mouvement du 20 février. C'est donc essentiellement pour tenter de se racheter aux yeux de la jeunesse et non par principe ou autre considération tenant au projet de société qu'ils défendent. Il faut rappeler, à cet égard, que c'est le PPS qui était à l'origine d'une liste nationale élargie. Mais dans un autre esprit et avec un autre objectif. Pour le PPS, cette liste nationale est la composante d'un mode de scrutin mixte : listes locales au niveau des provinces et préfectures ; liste nationale comprenant la moitié des députés et ouverte à la fois aux femmes et aux hommes sans limite d'âge. La seule condition étant la compétence et le dévouement à servir le pays. Malheureusement, cette proposition, qui serait de nature à doter le parlement de cadres et de militants dont il aura besoin pour accompagner la dynamique de la nouvelle constitution, a été entièrement vidée de son contenu. En somme, les critiques et les remarques adressées aux propositions du Ministère relatives à cette question de liste sont largement justifiées. Ainsi, l'on comprend mal pourquoi on limite la jeunesse aux hommes sans les femmes comme si la jeunesse concernait uniquement le sexe masculin ! Quel est l'âge limite de la jeunesse ? Quels sont les critères qui le déterminent ? Pourquoi 35 ans au juste ? Cet intérêt subit en faveur des jeunes n'est-il pas en relation avec le mouvement du 20 février et relèverait donc, comme tel, de considérations purement conjoncturelles voire opportunistes ? Autant de questions qui restent en suspens et qui ont contribué à alimenter la confusion et la surenchère. De même, il est à notre avis erroné de placer sur le même registre la question des femmes et celle de la jeunesse. L'instauration des quotas au bénéfice des femmes visait à corriger une injustice dont elles pâtissent et une discrimination sociologique et culturelle qui les empêche d'accéder au parlement comme du reste aux autres postes de responsabilité. La mesure des quotas est nécessairement provisoire et transitoire. Elle durera juste le temps de rattraper le retard. L'objectif étant d'arriver à la normalité. Sans cette politique de « discrimination positive », on risque d'attendre longtemps pour voir la femme représentée convenablement dans les différentes instances élues. Cette politique joue en quelque sorte un rôle de démonstration, d'apprentissage et de pression sur les résistances culturelles. Tel n'est pas, pensons-nous, le cas des jeunes, de sexe masculin bien évidemment. La ségrégation que nous connaissons est essentiellement d'ordre sexuel et non générationnelle. Par conséquent, la politique de « discrimination positive » doit être utilisée avec prudence, à bon escient et là où elle est justifiée pour une raison ou une autre. C'est même l'esprit dans lequel elle fut instaurée pour la première fois aux USA dans l'Etat de Michigan afin de faciliter l'accès des étudiants de race noire à l'université, avant de s'étendre progressivement aux autres pays et dans des cas précis. En élargissant la pratique des quotas à d'autres catégories, on risquerait non seulement de la banaliser, mais de créer une situation ingérable et, à terme, aller à l'encontre de l'objectif recherché, à savoir la démocratie. Prenons donc garde de remuer le couteau dans le mauvais côté. Si on accorde un quota aux jeunes- mesure apparemment juste et légitime- rien n'empêcherait de faire autant pour les autres catégories sociales spécifiques : les seniors, les retraités, les handicapés, les personnes en chômage, les artisans, les petits commerçants, les habitants des régions enclavées, les nomades, les petits agriculteurs et éleveurs et que sais-je encore ? On s'orientera de la sorte à un vote « communautaire » qui va à l'encontre du suffrage universel. Le renouvellement des élites, soudainement mis en branle dans le débat national, ne se fait pas par des mesures administratives et ne se décrète pas non plus. Il se fait dans les rampes de la lutte et du militantisme à travers l'engagement des jeunes dans le combat politique et leur adhésion consciente dans les rangs des partis politiques de leur choix. Tout a été fait malheureusement dans le passé pour décourager les jeunes de l'engagement politique et cultiver en leur sein la désaffection du politique en discréditant le politique et les partis politiques porteurs de projets crédibles et en créant une muraille de Chine entre les jeunes et les partis politiques. De même, le renouvellement des élites se fait à travers un système de formation performant et productif. Or force est de constater que notre système éducatif ne joue plus comme il se doit ce rôle : ni la qualité de l'enseignement, ni la nature des programmes et des valeurs qu'il véhicule ne contribuent à former des élites performantes et susceptibles de prendre en charge les grandes problématiques de notre pays. Est-il besoin de rappeler que la plupart des dirigeants politiques actuels, dont certains sont atteints par un vieillissement biologique, ont été formés à l'université marocaine et ont fait leur premier apprentissage militant dans le syndicalisme étudiant avant de rejoindre les rangs des partis nationaux ? Il va sans dire que les partis politiques, et notamment les partis de la mouvance de la gauche, assument une part de responsabilité en se désintéressant relativement des jeunes et en négligeant leur présence dans les lycées et les établissements universitaires. L'UNEM (Union Nationale des Etudiants du Maroc) qui jouait le rôle de pépinière pour les partis politiques fut réduite à une coquille vide où se disputent des groupuscules extrémistes de droite et de gauche dans l'indifférence totale de la majorité des étudiants. Bien évidemment, tous les partis politiques ne sont pas logés à la même enseigne. Certains partis ont fait des efforts d'ouverture à l'égard des jeunes et de rajeunissement de leurs instances dirigeantes. La solution réside dans le respect de la démocratie interne des partis et la valorisation du mérite et des compétences en leur sein. En définitive, la contradiction fondamentale de la société marocaine n'est pas celle qui oppose les différentes générations. C'est celle qui oppose le camp du progrès social et celui de la régression sociale. Celle qui oppose les privilégiés et les rentiers d'une part et les différentes couches populaires démunies d'autre part. Et pour le dire en termes marxistes, celle qui oppose les exploiteurs et les exploités. Des personnes peuvent être dans le même camp indépendamment de leur âge, leur race, leur origine, ou leur sexe…C'est notre condition d'existence et notre position par rapport aux règles de fonctionnement de la société qui nous unissent ou qui nous séparent. Finalement, la guerre des générations n'aura pas lieu. La lutte pour la démocratie, oui !! *Membre du Bureau Politique du PPS.