Pluieurs décennies après que les Nations unies ont officialisé la Journée internationale de la femme en 1977, la vision, le discours et les activités féministes ont évolué avec les femmes de toutes les sociétés; mais l'objectif est demeuré le même : l'obtention par les femmes de leurs droits légitimes. Pour la femme marocaine, cette journée est bien sûr une occasion pour faire entendre sa voix au côté de ses sœurs de toutes les races et de toutes les cultures. On en profite aussi pour faire des bilans, réfléchir ensemble, échanger, s'encourager, se mobiliser. Dans un contexte de transformations, d'instabilité, de remises en question de nos acquis, cette journée conserve encore toute sa pertinence. Mais c'est aussi un moment douloureux qui permet de faire le point et de s'apercevoir que la condition de la femme au Maroc n'a pas subi beaucoup de changement. Elle continue à être victime d'injustices et de violences de la part d'une société qui est particulièrement misogyne. Bien que le code de la famille ait été réformé, il est là aussi pour consacrer l'inégalité de l'homme et de la femme. Mais cette discrimination juridique n'est que l'aspect visible de cette discrimination. Si on fait l'état des lieux aujourd'hui, on s'aperçoit que la femme marocaine n'est ni respectée ni considérée comme un être humain à part entière. Elle se fait agresser tous les jours : verbalement, physiquement, symboliquement, psychiquement et juridiquement. Ces femmes aujourd'hui ont tous les droits de lutter pour l'égalité des sexes, notamment au sein d'un monde musulman encore très en retard sur ce sujet. Les petites avancées constatées ne sont que les résultats de luttes personnelles ou associatives. La femme amazighe qui, dans nos anciennes coutumes, était respectée comme femme et épouse, se retrouve aujourd'hui reléguée à un stade inférieur. Dans la tradition amazighe, les femmes ont toujours inspiré le plus grand respect de la part de leurs collectivités. Elles participaient aux décisions touchant la famille, les droits du patrimoine et l'éducation. C'est à elles qu'est toujours revenu le droit de préserver les traditions culturelles. Le travail des hommes et des femmes était nettement distinct, mais toujours reconnu d'égale valeur. Des signes encore vivaces actuellement nous prouvent que leur statut était nettement meilleur que celui proposé par une idéologie obscurantiste, rétrograde qui se propage de plus en plus de nos jours. Des signes dans le droit coutumier amazigh «izrf» tels que : «Tamazzalt» un droit au partage égal des biens entre l'époux et l'épouse qui divorcent (finalement adopté par le code de la famille), des sanctions de mise contre celui qui abuse d'une femme, qui la violente ou qui se montre incorrect à son encontre, des danses collectives mixtes (ahidous, ahwach) moyens d'expression communautaire, un lexique matrilinéaire (ultma/gma, amghar/tamghart...). Dans l'histoire ancienne, les femmes amazighes ont occupé une place importante et ont été quelquefois à la tête de royaumes ou à leur source (Dihya, Tinhinan, Zineb Tanfzaouit...). Mais ce qui fait la particularité de la femme amazighe aujourd'hui, c'est qu'elle est doublement agressée: agressée dans sa féminité et agressée dans son amazighité. Non seulement elle est femme, inférieur de l'homme mais amazighe, de culture «inférieure». La culture amazighe ayant été considérée dès l'indépendance par les décideurs comme une culture primitive, la difficulté pour la femme amazighe est double. Non seulement il lui faudra lutter pour conquérir ses droits légitimes et matrimoniaux mais il lui faudra aussi en tant que principale gardienne et trésorière de la culture amazighe lutter pour ses droits linguistiques et culturels. Qu'en est-il de nos sœurs amazighes du milieu rural ? Nombre d'entre elles ne connaissent pas le peu de droits qu'elles ont et se retrouvent souvent impuissantes faces à toutes sortes d'injustices et de discriminations. Avec leurs enfants, elles sont les premières victimes de maladies infectieuses, leur santé dans ces zones est particulièrement menacée. L'analphabétisme et l'ignorance sont le lot de la grande majorité d'entre elles, ce qui défavorise leur intégration dans la société. Le militantisme pour elles, n'est pas encore une chose acquise ni évidente. Lorsque, enfin, elles ont la chance d'être scolarisée, elles se retrouvent face à deux langues étrangères (l'arabe et le français)... ce qui entraîne la dévalorisation de leur langue et culture et cause souvent la perte des valeurs autochtones face à des valeurs importées. Face à cette situation de double dominance (masculine et culturelle), comment faire pour conquérir sa liberté sans pour cela rompre avec sa culture d'origine ? Tout comportement, individuel ou collectif soit-il, puise sa force et sa légitimité dans la culture où il s'enracine. Briser la continuité des actions qui respectent les valeurs et la culture de la mère en brimant l'amazighité par son élimination des secteurs vitaux tels l'école, les médias, la justice, la politique et autres domaines publics, c'est exposer la femme amazighe et tous les membres de sa communauté aux dérives, les priver de leurs références ancestrales et les assujettir aux définitions officielles qui sont les mécanismes d'accaparement et de contrôle des pouvoirs. Pour les associations amazighes, la question féminine est au centre des préoccupations et reconnaître les droits de la femme amazighe, doit nécessairement passer par la reconnaissance de ses droits culturels et linguistiques pour assurer le développement de son identité, de sa personnalité. Il faut agir pour sa meilleure intégration dans le système moderne de développement économique, culturel et social, tout en sauvegardant la culture et les coutumes amazighes tolérantes. Mais pour y arriver, il faut tout d'abord sensibiliser et informer la femme sur ses droits et ses devoirs. La majeure partie des militants des associations amazighes conscients que tant que la femme amazighe est marginalisée, la communauté dans son ensemble sera marginalisée et en danger, travaillent dans ce sens. C'est une tâche difficile ! Difficile parce qu'il faut beaucoup d'énergie et de ténacité pour qu'elle soit reconnue comme citoyenne à part entière; une citoyenne qui peut participer et influer sur les décisions qui concernent le groupe. Bien que la Déclaration universelle des droits de l'Homme garantisse l'égalité entre tous les citoyens sans aucune discrimination sous prétexte de sexe, de langue, de couleur ou de religion et que le Maroc ait ratifié en 1993 la convention contre toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, les choses piétinent, les mentalités et les comportements sont encore rétrogrades. Il est clair que la question féminine doit être posée dans le cadre des droits humains, mais face aux ratifications des lois, un travail médiatique et de terrain doit être fait. L'école et l'environnement global y sont également interpellés. C'est le moyen le plus efficace pour faire évoluer la société. Les associations qui militent pour les droits des femmes n'ont malheureusement pas tous les moyens nécessaires pour couvrir tout le territoire. C'est à toutes les forces démocratiques de se mobiliser pour mettre fin à cette discrimination qui perdure sur fond d'obscurantisme menaçant. *Membre de l'Observatoire amazigh des droits et libertés et de l'Association des Femmes Autochtones d'Afrique