Dans le tumulte du flux incessant des images qui nous entourent, la télévision parvient- parfois- à dégager des plages horaires chargées d'émotion et d'intelligence et invitant à embrasser le monde d'un regard neuf. C'est ce qui arrive de temps en temps à la chaîne publique Tvm...comme ce fut le cas jeudi dernier avec le dernier épisode de l'émission de témoignage, «achahid», consacrée à Ismaïl Alaoui, ex-secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme, président du conseil de présidence du parti et figure historique de la gauche marocaine. Oui, ce fut un moment fort comme la télévision sait en offrir. Suite à une soirée marquée par l'information avec des événements importants de la vie nationale : l'inauguration de la station Nour à Ouarzazate par le Souverain et son arrivée triomphale à Laâyoun... les couche- tard ont eu droit à l'ultime épisode la série Achahid. On y découvre un autre visage de Moulay Ismaïl, une autre dimension de sa personnalité et une autre manière de faire du documentaire à la télévision. La série se veut un document qui fait découvrir aux spectateurs une autre approche de l'histoire récente du pays à travers le portrait des principaux acteurs de la vie publique. La série consacrée au dirigeant du PPS avait un double aspect historique. Par le retour sur le parcours du personnage avec ses références et par le moment de son tournage. Il y a en effet un décalage entre le temps du tournage du reportage (principalement 2009 et 2010) et le temps de diffusion (Janvier février 2016). Et du coup les images elles-mêmes de Moulay Ismaïl prenaient une dimension historique. Qu'est-ce qui fait que le dernier épisode se distingue des précédents ? C'est à la fois au niveau de son contenu et de sa forme. Les autres épisodes étaient portés par une mise en scène standard du reportage télévisé ; ce que j'appelle le Smig de l'écriture audiovisuelle : plan fixe sur le sujet ; insertion d'images d'archives, alternance d'images fixes et images animées puis retour sur le sujet filmé plan rapproché, en légère contre-plongée. Un dispositif minimaliste que je trouve adéquat par rapport à la nature du sujet car il permet la captation de la parole sans qu'elle soit parasitée par des mouvements d'appareil superflus ou un esthétisme artificiel. En somme une approche sobre à l'image du personnage qui durant tous les épisodes a fait preuve d'une grande humilité donnant une nouvelle illustration de la culture politique qui est la marque originelle de son parti, le refus de la démagogie. A aucun moment, Moulay Ismaïl n'a cherché à réécrire l'histoire ou à rapporter les événements à l'aune des enjeux d'aujourd'hui. Il rapportait les faits selon ses souvenirs et ses repères personnels sans chercher à se donner le beau rôle. Ou jouer à la star. Au moment où le monde d'aujourd'hui est marqué par une féroce compétition mémorielle voire une guerre de mémoires pour s'accaparer le passé comme arme du présent, Moulay Ismaïl nous livre une véritable leçon de modestie personnelle et de probité intellectuelle. Le dernier épisode de la série viendra enrichir le portrait par une leçon d'humanité. Pour clore ce récit mémoriel, le journaliste pose une question simple mais pertinente sur l'impact de la vie militante sur la vie privée et familiale. Un dilemme éternel en quelque sorte que vivent ceux qui ont fait le choix de s'engager dans la vie publique. Entamant sa réponse, Moulay Ismaïl a voulu rapporter une anecdote qui résume ce dilemme. C'est à ce moment que le temps de l'émission se fige comme quand un DVD est bloqué : le sujet politique et académique qui faisant jusqu'à présent preuve d'une grande maîtrise de ses propos et de ses gestes n'en pouvait plus. Les larmes ont pris le dessus, l'émotion a envahi le plan. Pour quelques secondes, nous avons eu affaire à un moment d'humanité spontanée et sincère. Le réalisateur et son cadreur ont eu l'intelligence de garder la même distance et n'ont pas succombé à la tentation du sensationnel en refusant de zoomer sur les larmes de ce grand personnage qui est sorti encore plus fort de ce moment de faiblesse humaine. Un verre d'eau est la sérénité est retrouvée permettant à Moulay Ismaïl de conclure en affirmant que le coût de l'investissement personnel reste dérisoire face à ce qu'endure l'humanité ici et là pour réaliser son projet d'émancipation et de dignité. On assiste alors à une métamorphose dans le dispositif de tournage jusqu'ici figé et stable ; la caméra comme libérée par les larmes du poids du discours solennel dominant jusqu'à présent va « oser » enfin filmer le sujet avec ses petits enfants offrant du coup à l'émission ses plus beaux moments avec les images d'un grand père accueillant sa petite-fille et son petit fils. Et situant Moulay Ismaïl dans des images «marxistes» : je ne sais pas si le réalisateur en était conscient mais ces images d'intimité avec ce leader jouant avec ses petits enfants sont un clin d'œil à un autre barbu : les familiers de la biographie de Karl Marx savent très bien que pour l'auteur du Capital, ses meilleurs moments de la journée quand il revenait exténué des bibliothèques londoniennes étaient ceux qu'il passait avec ses filles. Délire de critique ?! Le plan final de l'émission est dans ce sens une belle trouvaille : en profondeur de champ on voit le petit fils donnant un bisou à Moulay Ismaïl comme pour clore, il lui dit « merci papy » et au premier plan la petite fille vient fermer l'angle de la caméra pour lui dire, «stop, laissez-nous notre intimité». Générique de fin. Merci Moulay Ismaïl et longue vie Inchallah au service de nobles idéaux que tu as contribués à inculquer à des générations de militants.