Ismail Alaoui lors d'une rencontre ouverte à l'occasion du 80ème anniversaire de la fondation du PPS M'Barek Tafsi Le siège national du Parti du Progrès et du Socialisme à Rabat a accueilli, vendredi soir, une rencontre ouverte avec Ismail Alaoui, ancien Secrétaire Général du Parti du Progrès et du Socialisme, ancien président de la Fondation AliYata et président du Conseil de la présidence du PPS. Au cours de celle-ci, il est revenu sur la création du PCM et son évolution, le soutien indéfectible du parti à la cause palestinienne et sa lutte pour la défense de la classe ouvrière, des déshérités, des paysans pauvres et de l'intégrité territoriale du pays. Cette rencontre, programmée par la Fondation Ali Yata dans le cadre de la célébration du 80ème anniversaire de la création du parti, est sa première activité depuis l'élection de la nouvelle équipe dirigeante. Said Sihida : Rencontre ouverte avec Ismail Alaoui ou session de formation Dans sa présentation, le modérateur de la rencontre, Said Sihida, vice-président de la fondation, a estimé que cet échange avec un militant hors du commun comme Ismail Ismail, à qui le Comité central du parti a rendu un vibrant hommage lors de sa dernière session, constituera sans doute une session de formation instructive pour l'assistance. C'est une session de formation, car on a affaire à une riche expérience de plusieurs décennies, au cours de laquelle, ce grand militant a été témoin d'importants évènements et transformations du pays et du parti depuis les années 40 du siècle dernier, comme il a été le compagnon de lutte de nombreux militants de la première génération dont l'ancien secrétaire général du parti, feu Ali Yata et d'autres dont certains assistaient à la rencontre. Selon lui, cette rencontre se propose notamment de jeter la lumière sur certaines grandes étapes du parti depuis sa création depuis les années 40 pour éclairer les jeunes militants et sympathisants et l'ensemble des chercheurs et journalistes. Pour ce faire, Sihida a proposé trois axes de questionnement que sont le contexte historique de la création du parti, les mutations intellectuelles et politiques et enfin le parcours et l'expérience partisans d'Ismail Ismail. Ce dernier était interrogé par les journalistes Abdelilah Tahani, Younes Miskine et Mohamed Hajjioui. Du Parti Communiste du Maroc au Parti Communiste Marocain Répondant aux questions concernant la création du PCM (Parti communiste du Maroc), Ismail Alaoui a fait savoir qu'il s'agit d'un parti politique fondé au Maroc sous le protectorat français en 1943. Et c'est en 1945, qu'il a été rebaptisé Parti communiste marocain, après que l'ancien Secrétaire Général, feu Ali Yata, en avait pris la tête. Après ses interdictions sous le protectorat, Le Parti communiste marocain a été interdit aussi au lendemain de l'indépendance, à la demande du gouvernement d'Abdallah Ibrahim, qui représentait pourtant l'aile gauche du Parti de l'Istiqlal. En 1968, le parti a été rebaptisé du nom du Parti de la Libération et du Socialisme et plus tard en 1974 de celui du Parti du Progrès et du Socialisme, toujours sous la direction d'Ali Yata. Pour Ismail Alaoui, la création du PCM est l'aboutissement d'une évolution historique que le Maroc a connue sous les protectorats français et espagnol. L'arrivée du colonialisme au Maroc a provoqué de grandes transformations, sachant qu'il s'agit d'une expansion coloniale qui avait pour but majeur d'assurer au système capitaliste des marchés protégés dont il a besoin pour se reproduire et poursuivre sa mondialisation. Cette évolution s'était traduite par l'apparition de nouvelles structures sociales et de nouveaux rapports de force en remplacement de celles que connaissait le Maroc. Le nouveau mode de production capitaliste s'était en effet traduit par l'apparition d'une classe ouvrière en particulier dans les villes. Dans les campagnes, une bourgeoisie étrangère s'était accaparée les terres les plus fertiles. C'est ainsi que les travailleurs, les plus illuminés, aidés par des meneurs étrangers, avaient été à l'origine de la création des premiers syndicats des travailleurs au Maroc dans les secteurs des mines, en particulier les phosphates, de l'agriculture et de l'agro-industrie, ainsi que dans les secteurs des transports, des chemins de fer et les ports. A la fin de la première guerre mondiale sont apparues au Maroc les premières cellules communistes et syndicales, à l'initiative de communistes et syndicalistes français et espagnols, malgré l'interdiction faite aux Marocains par les autorités coloniales d'adhérer aux organisations syndicales et politiques en place. Des militants de nationalité marocaine se sont également joints à ce mouvement, apparu depuis les années 1920 avec à leur tête Ahmed Belmadi dans le Tadla et Abdeslam Bourquia. Parallèlement à cette situation, la résistance marocaine avait commencé à s'organiser contre l'occupation coloniale depuis le 19ème siècle, sachant que le Maroc avait été victimes de convoitises et avait subi de nombreuses campagnes de pillage de ses ressources et qu'il a été divisé en plusieurs zones d'influence étrangère, suite à l'expansion impérialiste. Il était victime d'une série de pressions qui ont donné lieu à une résistance et une opposition marocaines. Il s'ensuivit une longue période de gestation de 20 ans qui a été sanctionnée par la naissance du Parti Communiste du Maroc en 1943 et du Parti communiste marocain à partir de 1945. Nombreux étaient les premiers adhérents du PCM qui militaient dans les rangs du parti patriotique (Al Hizb Al Watani), dirigé par feu Allal Fassi dont Ali Yata. Et c'est là que ce dernier avait d'ailleurs connu de très près Bouchta Jamai, avec lequel il partageait les idéaux. Nombreux parmi ceux-là avaient rejoint le Parti de l'Istiqlal, créé en 1947. Si Ali Yata avait d'abord adhéré au parti nationaliste, il avait rejoint plus tard les rangs du PCM, dont il a pris la tête en 1945 avec le soutien de nombreux autres militants dont Abdeslam Bourquia, Ahmed Belmadi et les frères Driss et Mamoun Alaoui. Et ce sont ceux-là qui constituèrent la première cellule du Parti communiste marocain. Ismail Alaoui a fait remarquer aussi que contrairement à l'Europe, où l'apparition de la classe ouvrière résultait d'une évolution normale du mode de production capitaliste, au Maroc cette classe ouvrière est née suite à la main mise sur les biens du pays de la part des étrangers. Une partie de ces nouveaux venus étrangers ne partageait pas toutefois les mêmes idéaux d'exploitation coloniale des biens et des Marocains. Et ce sont ceux-là qui s'étaient engagés à lutter contre l'exploitation coloniale et capitaliste au Maroc, en y créant les premiers syndicats dont les adhérents étaient recrutés parmi les ouvriers marocains dont Mahjoub Benseddik, Taieb Ben Bouazza et d'autres, qui n'avaient pas adhéré au PCM. Au lendemain de la première guerre mondiale, a-t-il rappelé, la pensée de Karl Marx avait été largement diffusée de par le monde, à la suite notamment de la Révolution d'Octobre en Russie et de la montée des mouvements communistes de par le monde et la réussite de la troisième Internationale. Au Maroc et à l'initiative donc de communistes français et espagnols, les idées socialistes ont été introduites dans le pays. Le nombre de Marocains ayant saisi la portée de ces pensées était très limité à l'image d'Ahmed Belmadi puis d'Abdeslam Bourquia. Et c'est grâce à ces premières cellules, que fussent diffusées au Maroc la pensée et les idéaux communistes, faisant fi de l'opposition farouche de plusieurs milieux intellectuels. Ces derniers considéraient à tort que le communisme est synonyme d'athéisme, d'autoritarisme et coercition. Et pourtant, nombreux sont les athées qui sont des libéraux farouches, a-t-il rétorqué. A Tanger on utilise toujours le qualificatif de BOUCHBIK (bolchévik) pour désigner un rebelle. Les idéaux communistes ont été évidemment combattus de manière farouche dans tous les milieux en s'appuyant sur des arguments souvent fallacieux pour empêcher le PCM de renforcer ses rangs dans les différents milieux sociaux, a-t-il dit, notant qu'il n'a jamais été facile pour le parti de lutter dans une société marocaine dominée par les conservateurs et les idées rigides, à l'image de Lafquih Belarbi Alaoui. Au contraire, a expliqué Ismail Alaoui, le Coran a apporté de nouvelles notions d'ouverture à l'instar de celle d'AL MAAROUF (ce qui est connu et courant), qui mérite qu'on en approfondisse l'analyse pour en saisir la signification. Et Ismail Alaoui de préciser que l'annonce de la création du PCM a été faite en novembre 1943, quelques mois seulement avant la présentation du Manifeste de l'Indépendance du 11 janvier 1944 et la création du parti de l'Istiqlal. Et il a fait savoir de même que Belmadi, Bourquia et Yata avaient signé aussi les pétitions populaires qui avaient précédé le Manifeste de l'Indépendance, qui comptait 60 signatures. Malheureusement, on a perdu les traces de ces pétitions, après la mort de feu Ahmed Mekouar qui s'en occupait, a-t-il noté, avant de réfuter les propos de ceux qui accusaient à tort le PCM de n'avoir pris part à la lutte pour l'indépendance. Pour répondre à ces fausses accusations, il a tenu à rappeler à tous que c'est le journal communiste «l'espoir », qui parla pour la première fois en 1942 de l'indépendance du Maroc, après l'arrivée des Américains à Casablanca et en Afrique du Nord, la chute du régime fasciste de Vichy et la victoire de Stalingrad de 1943 de l'armée rouge sur l'armée allemande. En 1943, le Maroc avait accueilli la Conférence d'Anfa qui avait un impact déterminant. Autant Churchill s'opposait à la rencontre du Sultan du Maroc Mohammed Ben Youssef, avec les participants à cette conférence, autant Roosevelt insistait sur la nécessité d'accorder au Maroc son indépendance. Ce qui contrastait évidemment avec la vision très conservatrice et rétrograde de Churchill. Le soutien indéfectible du parti à la cause palestinienne Interrogé au sujet de la position du parti par rapport à la cause palestinienne, Ismail Alaoui a estimé qu'elle a été souvent occultée par les média, proposant à tous ceux qui veulent en savoir plus de chercher des réponses dans les archives des services secrets du protectorat français et du Maroc ainsi que dans la bibliothèque du Congrès américain. Selon lui, le parti considère dans ses analyses le sionisme comme un mouvement d'épuration raciste et colonialiste au service des intérêts de l'impérialisme en Europe et en Amérique. C'est la raison pour laquelle les pays occidentaux apportent un soutien total et inconditionnel à Israël dans sa guerre en cours contre Gaza pour pouvoir exécuter en Palestine le même plan d'extermination des populations autochtones comme ce fut le cas des aborigènes en Australie et des indiens en Amérique. Il n'est donc pas surprenant d'assister à ce grand mouvement de sympathie et de solidarité de la presse occidentale avec Israël, dont les thèses coloniales remontent à une époque lointaine bien avant la Renaissance en Europe et qui se situe entre les 13ème et 20ème siècles. Et c'est en Andalousie, après la défaite arabe dans la bataille d'Alarcos au 13ème siècle, que l'expansion de l'Occident a commencé, a-t-il expliqué. Bien qu'elles soient claires, les positions du parti sur la question palestinienne souffrent d'une faible communication et de l'analphabétisme, encore très répandu dans la société marocaine. Depuis sa création, le parti a subi toutes sortes de répression, qui l'ont empêché aussi de disposer d'une presse forte pour exposer ses positions. Il a indiqué dans ce cadre que l'occupation de la Palestine est intervenue dans un cadre européen et a donné lieu à un régime raciste d'apartheid fondé sur des mythes et légendes. Nombreux sont les chercheurs qui soutiennent actuellement avec des preuves à l'appui que les juifs, importés d'ailleurs en Israël pour former le peuple, n'ont rien à voir sur le plan ethnique avec la terre de la Palestine. Ils sont d'origine soit yéménite, soit khazare venus de Turquie ou amazighe pour d'autres. Interrogé par ailleurs sur son rôle dans la création de l'Association marocaine de soutien à la lutte palestinienne, il a fait savoir avoir projeté avec d'autres militants la création d'une association de soutien à la lutte palestino-vietnamienne, mais qu'il avait été devancé par d'autres qui l'ont invité à se joindre à eux. Le parti avait évidemment accepté l'invitation et répondu toujours présent aux appels de l'association. Ismaïl Alaoui, le révolutionnaire Répondant aux questions relatives à son parcours personnel et partisan, Ismail Alaoui a fait savoir que dès l'âge de 8 ans, il s'intéressait aux évènements sociaux et politiques. Quant à la manifestation de 1948 contre le protectorat français à Salé, sa ville natale et aux premières révoltes en Palestine, elles l'avaient profondément marqué. A 11 ans, il devait traduire aussi à son père la presse francophone. Et depuis lors, il a affirmé avoir été toujours sensible aux problèmes des déshérités et des opprimés. Il avait participé à toutes les manifestations dont celle contre l'assassinat de Patrice Lumumba à Casablanca tout en lisant tout ce qui va dans ce sens dont un ouvrage du philosophe russe Gueorgui Plekhanov. Armé de toutes ses idées, il a affirmé avoir trouvé dans les écrits révolutionnaires sa voie pour lutter contre l'injustice. Et c'est dans ce sens qu'il a adhéré au PCM en 1961 pour défier, a-t-il dit, la décision d'interdiction en appel qui a frappé le parti, à la demande du gouvernement d'Abdallah Ibrahim, sous le motif fallacieux de l'athéisme, oubliant que les dirigeants de la révolution bolchévique comptaient dans leurs rangs des fidèles religieux. Ce gouvernement avait peut être cédé aux pressions du Réarmement moral (RAM), un certain lobby anticommuniste basé en Suisse. Pour ce qui le concerne, le PCM militait et appelait au retour du sultan de son exil et luttait pour la libération du pays du joug colonial. Dans le cadre de son analyse de la situation au lendemain de cette interdiction, le parti a décidé de faire preuve de davantage de réalisme politique en application de l'un des principes développés par Vladimir Ilitch Oulianov Lénine et d'intensifier son engagement pour le parachèvement de l'intégrité territoriale du pays. C'est ainsi que le parti, qui réclamait la création d'une assemblée constituante a dû se rendre à l'évidence et admettre le bien-fondé de la pression populaire qui a abouti à l'élaboration des deux derniers Constitutions marocaines, aux contenus très avancés. Tout le monde est aujourd'hui au courant de l'histoire de l'ouvrage d'Ali Yata sur le Sahara marocain, qui avait été interdit pendant une longue période avant sa publication par la bibliothèque officielle du pays. Interrogé sur le travail parlementaire du parti, il a estimé que le groupe parlementaire actuel ne fait pas assez et qu'il est appelé à faire de son mieux pour bien servir la démocratie et le pays, avant de proposer la création d'un gouvernement de l'ombre pour mieux préparer les générations montantes à exercer leurs responsabilités. Au niveau social, Ismail Alaoui a affirmé qu'il continue d'œuvrer dans le cadre de l'association ADMR (Association du Développement du Monde Rural), qui a à son actif plusieurs réalisations au profit des populations et régions rurales. Après avoir souligné les insuffisances et les ratages du gouvernement actuel en particulier dans les domaines de l'enseignement et de l'agriculture, dont la solution résidait sans doute dans la réforme agraire que proposait le parti, il a indiqué qu'il ne projette pas de rédiger son autobiographie, car il se méfie de la mémoire, qui est susceptible de jouer de mauvais tours et de le détourner de l'honnêteté.
