ALM : Vous êtes un grand ami du Maroc. Quel regard portez-vous sur les 15 années de règne de Sa Majesté Mohammed VI ? Jack Lang : Sa Majesté Mohammed VI a donné un nouveau souffle à son pays. Depuis quinze ans, sous son impulsion, le Maroc s'est métamorphosé tout en restant fidèle à ses traditions. De nombreuses réformes ont été engagées et le Maroc s'est profondément transformé. S'il ne fallait en citer qu'une, je retiendrais la mise en place de l'Instance équité et réconciliation, dont le travail remarquable a constitué un moment fondateur d'une nouvelle donne démocratique. L'ouverture de grands chantiers, l'essor des infrastructures, la politique de développement des régions ont, en outre, fortement modifié le pays. En mars 2011, le Roi a également pris l'initiative d'une réforme constitutionnelle clairvoyante et courageuse. Le Roi s'est toujours attaché à défendre les valeurs d'ouverture, de modération, de tolérance et de dialogue. S'il reste évidemment encore du chemin à parcourir dans le domaine de l'éducation, et de la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales, le Maroc constitue un modèle, aussi bien en termes de modernisation politique, de développement économique que de prise en compte des enjeux sociaux. Quels sont les changements opérés au Maroc qui vous ont le plus touché ? J'ai été frappé et profondément touché par le préambule de la Constitution de 2011 qui fait référence aux composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie de l'identité nationale marocaine, et à ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen. C'est un message de tolérance exceptionnel que nous entendons trop rarement de nos jours, que ce soit dans le monde arabe ou en Europe. Il montre que le Maroc est un pays ouvert et fier de son identité plurielle. Cet hymne marocain à la diversité pourrait être heureusement repris par d'autres pays, y compris la France. Quelle place occupe le Maroc aujourd'hui dans le Maghreb et le monde arabe? Le Maroc est un grand pays, qui constitue une référence sur la rive Sud de la Méditerranée et dont la voix est écoutée au sein du monde arabe et au-delà. C'est un pays incontournable sur la scène maghrébine, dont nous partageons pleinement la vision d'un Maghreb ouvert et uni. C'est un pays en plein développement économique, qui constitue une terre de croissance. C'est un pays engagé en faveur de la paix et de la sécurité, qui prend courageusement ses responsabilités comme en témoigne son action au Mali, en Centrafrique, et plus généralement en Afrique. C'est enfin un partenaire essentiel pour la France, avec lequel celle-ci entretient une relation unique, portée par des liens humains exceptionnels, une langue en partage et une même vision du monde. Le Roi a été le premier chef d'Etat à être reçu par le Président François Hollande après son élection. Cette relation d'exception rejoint le sentiment profond de chacun des deux peuples qui ont l'un pour l'autre une affection ancienne et durable. Une nouvelle Constitution au Maroc, un nouveau code de la famille qui met la femme en avant, que pensez-vous des mesures prises par le Roi après les événements du Printemps arabe ? Comment le Maroc a pu trouver les bons réglages pour faire face au Printemps arabe ? Avec l'accession au Trône de Mohammed VI une nouvelle ère s'est ouverte, l'aspiration populaire à la liberté et à la justice sociale a été mieux entendue. La réforme du code de la famille, qui s'accompagne de nombreuses avancées pour le statut des femmes, s'inscrit pleinement dans cette volonté d'engager le Royaume sur le chemin de la modernité même si des progrès doivent encore être accomplis. Dans ce domaine, je suis également frappé par le rôle de la société civile, le combat que mènent les associations de femmes, ou des actions comme celles que conduit le Théâtre de l'Aquarium dont j'ai rencontré l'équipe lors d'un déplacement à Rabat. L'accélération des réformes qui a eu lieu en 2011, avec notamment l'adoption d'une nouvelle Constitution, est la suite logique et naturelle du processus engagé depuis plusieurs années. Ces changements, même encore incomplets, ont valeur d'exemple pour d'autres pays. C'est un message d'espoir qui montre qu'il est possible de concilier ouverture et stabilité. Comment évaluez-vous la politique culturelle du Maroc ? Le paysage culturel marocain témoigne depuis plusieurs années d'un véritable renouveau. Ce foisonnement et cette efflorescence de la scène culturelle marocaine seront mis en exergue à l'automne prochain lors de la grande manifestation sur le Maroc des arts contemporains qui mettra en lumière toutes ses facettes. Jean-Hubert Martin, commissaire de l'exposition «Dali» récemment présentée au Centre Pompidou ou, naguère, de la grande exposition «Les Magiciens de la terre», est en charge de cet événement. Deux commissaires marocains, Moulim Elaroussi et Mohamed Metalsi, y sont associés. Les œuvres de quelque 80 plasticiens y seront présentées. La musique, le théâtre, la danse, la poésie, la littérature, l'architecture, le design ou le cinéma y trouveront également toute leur place. Pendant plusieurs mois, la création contemporaine marocaine sera ainsi à l'honneur à tous les étages de ce beau bâtiment qu'est l'Institut du Monde Arabe, en plein cœur de Paris. Colloques et symposiums se succèderont sur la culture et l'économie marocaines. Au même moment, une exposition sur le Maroc médiéval se tiendra au Musée du Louvre. Le Maroc sera donc véritablement à l'honneur cet automne à Paris !