La première grande fissure que subit le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, fut l'œuvre du Colonel Mouammar Kadhafi quand il posa sa tente sur le bitume parisien. Pour Bernard Kouchner, ministre des Affaires etrangères de Nicolas Sarkozy, il ne se passe pas un jour sans que sa présence au gouvernement ne soit l'objet d'interrogations. Sa parole comme ses silences sont lourdement commentés. Il faut dire que l'actualité ne lui donne aucun répit. Quand il ne s'agit pas de la crise du Tibet sous une étroite surveillance chinoise, ce sont les effluves de Mai 68 qui remontent et charrient avec elles de douloureuses interpellations. La presse la plus sérieuse de France ne peut s'empêcher de commettre des éditoriaux où l'ironique le dispute souvent au pitoyable et où Bernard Kouchner y est décrit comme la caricature de lui-même. Nombreux sont ceux qui se gaussent de son étrange capacité à faire de la résistance pour se maintenir au Quai d'Orsay. La première grande fissure que subit Bernard Kouchner fut l'œuvre du Colonel Mouammar Kadhafi quand il posa sa tente sur le bitume parisien. Tout en applaudissant sans grand bruit «la diplomatie de la réconciliation» suivie par Nicolas Sarkozy, Bernard Kouchner s'est senti obligé de donner des gages aux détracteurs de cette visite en se disant «surpris par le faste étalé» dans la réception et se livrant à un assourdissant boycott du dîner officiel donné à l'Elysée en l'honneur du Rais libyen. L'épisode libyen a dû clôturer une série de revers enregistrés par Bernard Kouchner, commencer par ses déclarations enflammées sur l'Iran qui lui valurent une réprobation internationale et ses confidences aigries à la presse américaine sur la crise libanaise qui lui coûtèrent des remontrances domestiques. Mais c'est le Tibet sur fond de célébrations du quarantième anniversaire de Mai 68 qui donna le coup de grâce aux circonvolutions politiques de Bernard Kouchner. Sommé de s'exprimer sur la crise Tibétaine à la veille des Jeux olympiques de Pékin, Bernard Kouchner, qui en 1996 électrisait son audience avec ce genre de phrase : «Se souvient-on que le Tibet est un pays envahi et qu'on y stérilise les femmes ?», est méconnaissable. Avec des sorties qui fleurent bon le réalisme politique, Bernard Kouchner donne le vertige. Quand il lance, spectaculaire, «Arrêtons de parler du boycott, Personne ne le réclame, surtout pas le dalaï-lama. Ne soyons pas plus tibétains que le dalaï-lama» ou quand il affirme, péremptoire, que «les droits de l'Homme ne peuvent pas résumer une politique étrangères» ou quand il explique avec réalisme : «Nous sommes contraints de ménager un certain nombre d'intérêts économiques pour ne pas creuser le chômage. Cela s'appelle gouverner», Bernard Kouchner donne du grain à moudre à tous ceux, parmi son ancienne famille politique et ses adversaires au gouvernement, pour critiquer une élasticité opportuniste. Pour beaucoup d'observateurs politiques, Bernard Kouchner n'inscrit pas uniquement son action dans le cadre d'un reniement permanent de toutes les valeurs qui avaient fondé sa carrière et son action dans le seul but de se maintenir à son poste mais il montre une grande capacité d'adaptation qui fait la grande force des hommes politiques. En plus des ces questions internationales autour desquelles l'homme de gauche qu'il était doit harmoniser ses convictions avec le ministre sarkozyste qu'il est devenu, Bernard Kouchner affronte une autre tornade qui peut facilement mettre fin à son aventure gouvernementale de droite : c'est la nomination de son épouse, la journaliste Christine Ockrent à la tête de la nouvelle holding destinée à coiffer et à réorganiser l'audiovisuel français extérieur. De nombreuse voix s'étaient élevées pour dénoncer «la nomination de complaisance» et «le conflit d'intérêt». Bernard Kouchner avait tenté de couper court à cette polémique naissante en affirmant qu'il était prêt à démissionner dans le cas où il est prouvé que les nouvelles fonctions de son épouse sont incompatibles avec son maintien à la tête du Quai d'Orsay, autorité de tutelle naturelle de «France Monde». Alors que l'on s'attendait à ce que les egos enflés de deux hommes comme Bernard Kouchner et de Nicolas Sarkozy provoquent des grincements et des étincelles, le fondateur de «Médecins sans frontières» et inventeur du «droit d'ingérence» s'est montré sarko-compatible au point ou il paraît difficile de lui imaginer un successeur.