Comme si les taxis étaient des lieux de culte. Certains chauffeurs les transforment en organes de prédications. Le temps d'un trajet, ils gavent leurs clients de paroles saintes. Ils leur indiquent le chemin du salut… Comme si les taxis étaient des lieux de culte. Certains chauffeurs les transforment en organes de prédications. Le temps d'un trajet, ils gavent leurs clients de paroles saintes. Ils leur indiquent le chemin du salut… par la voie de la terreur. Vanité de croire à la vie ici-bas. Erreur de pleurer un proche mort. Hétérodoxie de se rendre au cimetière, de préférence un vendredi. Hérésie de vider son cœur devant la tombe d'un mort… À ceux qui ne souscrivent pas à ces paroles, des supplices décrits avec une précision sadique sont détaillés. Le client qui venait de passer un agréable moment avec des amis, ou bien rentrait simplement chez lui ou pire : allait faire la fête quelque part, est désarçonné par le ton apocalyptique du prédicateur. Il se retourne vers le chauffeur, imperturbable dans sa posture bouddhique. Le taxi, driver ne prononce pas un mot, mais écoute religieusement les paroles qui sortent de la radio cassette. La dernière trouvaille de certains chauffeurs de taxis ? transformer leur véhicule en espace de prêche. C'est redoutable d'efficacité. L'air de rien, le chauffeur sème la bonne parole, embrigade à tous vents. Il agit en toute impunité. Sûr de son fait. Qui oserait lui reprocher de diffuser des paroles pieuses ? Qui peut même lui demander de baisser le son, sans être soupçonné de sympathie avec Satan ? Qui peut lui reprocher d'agresser les oreilles des passagers sans être taxé de mécréant ? Naguère. Une affaire de taxi avait passionné le philosophe français Gilles Deleuze. Un passager avait intenté un procès à un chauffeur qui lui avait interdit de fumer dans son véhicule. La chose est impensable aujourd'hui, mais en 1979, les paquets de cigarettes n'étaient pas encore ornés par des inscriptions macabres. Le passager estimait qu'il était libre de disposer, le temps d'un itinéraire, du véhicule et qu'il pouvait y fumer. La question de la souveraineté de ce client avait constitué un cas de jurisprudence passionnant. Qui peut intenter aujourd'hui un procès aux taxis propulseurs d'intégrisme ? Pourtant. La liberté, c'est aussi une question de musique. Et chaque passager devrait choisir la sienne.