Alger a décidé de ne plus utiliser le pipeline qui transite chez le Maroc, avec lequel les relations diplomatiques sont rompues depuis fin août. En Europe, la décision a provoqué un mélange de consternation et d'incompréhension. Si la poursuite des livraisons de gaz à l'Espagne a été au centre de discussions, le 27 octobre à Alger, entre la ministre espagnole de la transition écologique, Teresa Ribera, chargée de l'énergie, et le ministre algérien de l'énergie et des mines, Mohamed Arkab, en Europe, la concertation règne dans les esprits face à une décision insensée. «En fermant le gazoduc Maghreb-Europe, le gouvernement algérien punit son voisin marocain et embarrasse les Européens. Les Espagnols vont-ils pouvoir se chauffer cet hiver sans avoir à payer davantage ? Pas sûr. Comme annoncé au mois d'août, l'Algérie va mettre fin dimanche à l'approvisionnement du gazoduc Maghreb-Europe» écrit le journaliste François Clemenceau dans la nouvelle livraison du journal hebdomadaire français d'actualité Le Journal du dimanche (JDD). «Pourquoi punir ainsi le Maroc et handicaper l'Espagne à l'heure où les prix de l'énergie s'envolent ?» se demande le JDD. Alger a décidé unilatéralement de rompre les relations diplomatiques avec son voisin. Les frontières étaient déjà fermées, les ambassadeurs ont été rappelés, et voilà que le robinet du gaz est désormais fermé. «L'Algérie se recroqueville sur elle-même et se lance dans une fuite en avant en utilisant tous ses vieux réflexes de dénonciation de la main de l'étranger pour expliquer les crises qui la parcourent», analyse Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES), cité par le journal. «Le gain géopolitique de cette nouvelle initiative est nul mais les autorités algériennes s'en moquent, car la hausse des prix du gaz et du pétrole leur donne une marge de manœuvre face à une opinion en attente de redistribution sociale» souligne le JDD. «Au Maroc, c'est peu de dire que la nouvelle a été prise avec dédain. Les autorités du nouveau gouvernement d'Aziz Akhannouch sont même en pourparlers avec l'Espagne pour qu'elle leur renvoie par le même gazoduc inutilisé par l'Algérie ce qui contribue à sa consommation» a-t-on indiqué. «La rivalité entre Alger et Rabat n'est pas nouvelle mais le Maroc, depuis quelques années, a pris l'ascendant ; il est passé d'une posture défensive à une diplomatie offensive en Afrique et en particulier au Sahel, commente Flavien Bourrat, ancien responsable du programme Maghreb à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (Irsem). Le royaume se positionne de plus en plus comme un espace afro-atlantique» a-t-on précisé. Selon le chercheur, «il est possible que l'Algérie imite la Russie dans son utilisation du gaz en tant que levier dans les conflits politiques, comme on l'a vu récemment avec l'Ukraine ou la Moldavie. L'Europe embarrassée L'affaire est en tout cas embarrassante pour les Européens, qui voient l'Espagne, la cinquièùe économie de l'Union, tenter de résoudre par elle-même son problème de dépendance énergétique.» Un accroissement des exportations de gaz naturel liquéfié par la voie maritime ? Quelle leurre ! «Les autorités algériennes ont promis que tout serait fait pour compenser la fermeture du gazoduc Maghreb-Europe. En dopant par exemple le gazoduc Medgaz, un pipeline sous-marin entre les deux pays mais d'une contenance inférieure. Puis en multipliant les livraisons de gaz naturel liquéfié par méthaniers, ce qui est plus aléatoire compte tenu de l'actuelle rareté de ces bateaux sur le marché et ce qui devrait aussi faire augmenter les prix» a-t-on conclu.