Une simple plainte contre X a été déposée par la Société générale marocaine des banques (S.G.M.B) au Parquet suite à des contentieux avec l'une des sociétés clientes chez elle qui conteste des effets bancaires se chiffrant à des milliards de centimes. Des effets que la société n'a jamais établis mais qui ont pourtant été honorés. La police judiciaire de Casablanca, en ouvrant l'enquête, a mis la main sur une affaire d'escroquerie de haut niveau. Arsen Lupin est Marocain ! Des effets atterrissaient dans les comptes de clients solvables. La banque les honorent et leurs bénéficiaires encaissent l'argent en espèces. C'est le circuit que suit toute opération bancaire du genre sauf que celles-ci étaient contestées par « le créancier », une société, qui dit ne jamais avoir établi d'effets. L'enquête a démarré par établir une liste des comptes bénéficiaires de ces encaissements pour aboutir à l'identité de leurs titulaires. Quoi de plus facile pour la police judiciaire mandatée par le Procureur du Roi que de savoir l'identité d'un titulaire d'un compte bancaire sur lequel pèsent des doutes ? Ainsi, les numéros des cartes d'identité nationale des bénéficiaires des comptes ont-ils été relevés et pointés au terminal central qui a identifié leurs titulaires. Ceux-là habitaient tellement loin, dans des douar-s même, que la police judiciaire a été obligée de les convoquer par l'intermédiaire de la gendarmerie royale. Lorsqu'ils se sont présentés dans les locaux de la police judiciaire de Casablanca, ils avaient l'air plutôt de pauvres paysans, crevant la dalle. Mais ils devaient quand même répondre aux questions des enquêteurs, surtout eux qui n'avaient pas de carte d'identité nationale sur eux. Comment ? Ces pauvres gens ont répondu le plus naturellement du monde que leur travail est journalier. Ils se rendent au village et attendent que quelqu'un vienne les chercher pour effectuer des travaux. Mais voilà qu'un jour est arrivé un prétendu richard propriétaire de fermes agricoles. Il les a appelés et leur a demandé à chacun d'eux sa carte d'identité pour en faire une photocopie pour la gendarmerie. Il leur a demandé de l'attendre dans un café. Ils ont attendu. Le richard n'est jamais revenu. Les journaliers ne se souvenaient ni de ses traits encore moins de la marque ou de l'immatriculation du véhicule. Des éléments de la police judiciaire se sont vus dans l'obligation de les nourrir d'abord, parce qu'ils étaient affamés, et de leur payer ensuite le ticket de l'autocar pour le retour. Un pavé dans la marre ! Où sont alors les milliards ? La police est convaincue que le prétendu richard a utilisé les cartes d'identité escroquée pour ouvrir des comptes bancaires, mais à quoi ressemble ce fantôme ? En fait, les enquêteurs se rendent compte qu'il s'agit de plus d'un, puisque d'autres comptes bancaires ont bénéficié d'effets bancaires douteux. Intelligence policière oblige ! Des éléments ont été affectés dans et devant les agences bancaires dont une sur le boulevard Mohammed VI et une autre à Kariat Al Jamâa. Ces enquêteurs n'ont vu personne venir. La surveillance a duré des jours entiers voire des semaines, mais aucun des titulaires des comptes n'est apparu. Bizarre quand même ! Les relevés bancaires montrent que les retraits étaient presque quotidiens. Ils se rendent à l'évidence que quelqu'un de l'intérieur de l'agence a dû informer ses clients des soupçons qui tournent autour de leurs comptes. Première piste Mais, si dans la vie courante on dit « à malin, malin et demi », chez la police, la malice se métamorphose. Puisque des comptes bancaires ont été ouverts avec de fausses cartes d'identité, pourquoi ne pas voir du côté d'Ittissalat Al Maghrib et de Méditel pour savoir si ces noms bénéficient ou pas de numéros de téléphone. Une requête dans ce sens a été établie auprès du Procureur qui a répondu favorablement à l'accès au listing des appels détaillés des numéros soupçonnés. D'ailleurs, Méditel, surtout, n'avait pas à se plaindre parce qu'il s'avérera qu'elle est aussi victime de cette escroquerie au même titre que d'autres sociétés qui ont accepté des chèques émis par ces escrocs contre des services ou des marchandises qu'ils revendaient à moitié prix. Les chèques étaient en bois. La liste des appels montrera aux enquêteurs que certains numéros sont souvent appelés dans la journée. L'identité de leurs titulaires sera vite relevée pour que la police se rende compte que les noms des directeurs des agences bancaires où les comptes sont ouverts figurent. Le nom qui revenait fréquemment était celui d'un certain Mohamed Rochd, responsable du service portefeuille à l'agence Kettani de la SGMB à Agadir. Un déplacement au Sud s'imposait et toute la brigade se mobilise. Au petit matin, à l'entrée des bureaux, Mohamed Rochd est coincé, son bureau fouillé. Il est conduit chez lui et là, c'est le gros lot. La police met la main sur un cartable qui contenait effets bancaires, argent en espèces et cachets au nom de différentes sociétés. C'était lui le cerveau de toutes les opérations dont la finition se faisait dans un cyber à El Oulfa à Casablanca. Les malfaiteurs, à l'aide de Mohamed Rochd, prenaient de véritables effets remplis par des sociétés, les scannaient et les apposaient sur d'autres effets achetés dans les bureaux de tabac, puis les cachetaient et imitaient les signatures qui existaient sur les effets originaux. Le gérant du cyber, un certain Noureddine Abdelhadi, a avoué avoir touché entre 6.000 et 12.000 DH pour chaque opération. Les accusés ont également avoué qu'ils donnaient entre 2.000 et 10.000 DH aux directeurs des agences bancaires où les comptes ont été ouverts pour éviter tout obstacle. La police a saisi 29 vrais-faux effets, quatre voitures, des cachets falsifiés, ainsi que du matériel électronique. L'arrestation a concerné Mohamed Rochd, Brahim Ouraïss, Miloud Belouch, (tous d'Agadir) et Noureddine Belhadi et Abdelhak Benanane (de Casablanca). Mahfoud El Jemmour est en état de fuite. Le Parquet a ordonné la saisie des biens et des comptes et a lancé un avis de recherche avec blocage des frontières contre les accusés qui n'ont pas comparu. Une véritable escroquerie académique que les annales de la police judiciaire ignoraient.