Le différend opposant la Fédération marocaine des cardiologues privés sur les tarifs des soins cardiologiques aussi bien ambulatoires qu'en clinique ne semble pas trouver une solution dans l'immédiat. Nombreux sont les points de friction sur lesquels les différentes parties n'arrivent pas à trouver un terrain d'entente. En attendant, ce sont les malades qui paient les pots cassés. La Gazette du Maroc : Le différend qui vous oppose à l'Agence nationale d'assurance maladie (ANAM) a un impact négatif sur la santé de nombreux patients qui souffrent de problèmes cardiaques. Quelle est la position de la Fédération marocaine de cardiologues privés ? Mostafa Chibani : Notre Fédération a toujours voulu que la population marocaine bénéficie d'une couverture médicale et accède aux soins le plus rapidement possible. Ce souhait, nous l'avons exprimé depuis de longues dates. Aujourd'hui, nous sommes dans un schéma qui ne satisfait pas toutes les parties. Depuis le mois de juillet 2006, lorsque nous avons constaté que les cardiologues n'ont pas été associés pour donner un avis à l'élaboration de la couverture médicale, nous avons essayé de mettre les choses dans l'ordre. Dans les négociations, nos représentants se sont toujours posé la question de savoir ce que deviendra leur profession. On nous répondait invariablement qu'on doit se référer à la nomenclature. À notre surprise, à la veille de la signature de la convention générale qui a eu lieu le 28 juillet 2006, on nous présente un document dans lequel les honoraires de la simple consultation de cardiologie sont fixés à 200 dhs. Alors que dans les normes, cette prestation doublée de l'électrocardiogramme est estimée entre 250 et 300 dhs. Le jour de la signature de la convention, on revient nous dire que les consultations sont désormais fixées à 190 dhs. La résolution du dossier relatif à la cardiologie ne pourrait se concevoir sans la participation des experts. Or, ceci n'a pas été le cas. C'est ce qui explique l'absence d'élaboration de ce dossier. Cette erreur n'incombe pas aux médecins mais aux responsables de l'Agence nationale d'assurance maladie (ANAM) qui n'ont pas pris en compte notre spécificité. Pour rappel, l'ANAM représente aussi bien la CNOPS que la CNSS. Dans ce méli-mélo, quel est le sort réservé aux malades ? Une fois la convention générale signée, nous avons appris par la suite que tout ce qui relève de la cardiologie sera discuté ultérieurement. Le lendemain on nous annonçait que la convention qui était en cours avec la CNOPS est abolie. Ce qui veut dire que les patients ne peuvent plus avoir les prises en charge nécessaires. La raison que la CNOPS a avancée est la suivante : la nouvelle convention rend caduque l'ancienne. Alors qu'en réalité, la convention en cardiologie n'a pas été encore signée. Pour répondre aux besoins des patients, la CNOPS n'a rien trouvé de meilleur que de les diriger vers Rabat à l'hôpital Cheikh Zayed et la Ligue des maladies du coeur et des vaisseaux. Est-ce que de leur côté, les cardiologues font aussi des efforts ? Depuis 1990, le secteur libéral de cardiologie a fait beaucoup d'efforts. Nous investissons dans du matériel de dernière technologie pour nous mettre en phase avec ce qui se passe dans le monde développé. Pour rappel, ces investissements sont entièrement à la charge du médecin. La seule facilité que nous puissions espérer avoir c'est celle relative au «Crédit jeune promoteur». Cela dit, il est important de remonter le temps. Lorsque le Maroc était doté de peu de centres de cardiologie, les malades qui présentaient des cas les plus sérieux étaient obligés de partir à l'étranger pour subir des interventions lourdes ; ce qui coûtait très cher à la Caisse de la mutuelle. Maintenant que notre pays dispose de cliniques cardiologiques à la pointe du progrès et de médecins de qualité pour soigner les maladies les plus graves avec des coûts très compétitifs, on ne comprend pas que l'administration ne veuille pas renforcer cet effort ! Pourtant, si on veut que la médecine en général, la cardiologie en particulier, se développe au Maroc, on doit lâcher un peu du lest. Cet acquis ne peut être préservé que si on nous apporte un soutien. Quel est le niveau des tarifs sur lequel achoppent vos discussions avec l'ANAM ? C'est un prix qui prend en considération des facteurs importants comme l'équipement, l'entretien du matériel, les charges à régler et les moyens qui permettent à un cardiologue de vivre normalement de sa profession sur le plan moral et matériel. De plus, la formation médicale coûte cher. En général, elle est totalement à la charge du cardiologue. Qu'est-ce qui explique la décision de la CNOPS d'arrêter de façon unilatérale la convention qui la liait aux cliniques cardiologiques privées ? L'arrêt unilatéral s'explique par le fait que la convention générale a rendu caduques toutes les autres conventions. Seule la cardiologie n'a pas été encore concernée par cette signature. Cela revient à dire que l'ancienne convention doit rester en cours dans le secteur privé de la cardiologie jusqu'à ce qu'une solution soit trouvée. Cela n'a pas été respecté. Les responsables de l'ANAM doivent vous apporter une réponse à cette question cruciale. C'est une démarche qui a énormément perturbé les soins dans les cliniques cardiologiques privées, mais aussi les cardiologues et les malades. Pourquoi ne réfère-t-on pas à l'AMO ? Notre souhait est d'élargir la taille de la couverture médicale. Pour ce faire, la mutuelle doit continuer à délivrer des prises en charge. Avant juillet, on nous disait que le projet AMO a un objectif social. En vous rappelant que, normalement, les patients affiliés à la CNOPS avaient deux possibilités : soit régler directement les frais des soins, soit, pour ceux qui n'ont pas les moyens, demander une prise en charge à la mutuelle qui cautionne et nous permet de soigner le maximum de malades. C'est une démarche qui était acceptée pour faciliter l'accès des patients aux soins. Cette possibilité n'a plus cours aujourd'hui. Les gens qui n'ont pas les moyens ne peuvent bénéficier de soins en ambulatoire. Que vaut aujourd'hui le serment d'Hippocrate pour les cardiologues ? Dans cette conjoncture, les cardiologues essaient de respecter le serment d'Hippocrate. Mais, il faut savoir aussi que nous avons en face des gens qui font plus de l'administration et qui se soucient peu de l'aspect humain de la médecine. On refuse souvent la prise en charge au niveau de la CNOPS de certaines maladies cardiaques. Comment trouver une solution à cette problématique ? Lorsqu'un malade se présente aux urgences, nous n'avons pas le droit de lui refuser des soins. Automatiquement, nous l'hospitalisons. La CNOPS est saisie en urgence aussitôt. Malheureusement, la réponse d'octroi de prise en charge n'est donnée qu'au-delà de 48 h. Cette échéance, qui doit être instantanée, atteint souvent même 10 jours. Ceci complique énormément notre tâche. Il arrive même que la mutuelle refuse catégoriquement de délivrer des prises en charge. L'ANAM devrait mettre en place des structures pouvant apporter des solutions à ce genre de problèmes.