Depuis le sommet du G8 à Gènes en 2001, le rapport entre monde développé et l'Afrique prend une nouvelle tournure. L'assistance cède la place au partenariat franc. Résultat : gouvernance, lutte contre la corruption, abandon de la politique des taux d'intérêt inférieurs à ce qui se passe sur le marché international. Michel Camdessus, ex-directeur général du FMI, est loin d'être un afro-pessimiste. L'Association pour le progrès des dirigeants (APD Maroc) que dirige Sâad Kettani a marqué ce mois de décembre les milieux des affaires marocains, en invitant l'ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Michel Camdessus. Invité le 6 décembre 2006 à donner une conférence sur le développement de l'Afrique, Michel Camdessus a abordé notamment les questions relatives aux choix des politiques des pays développés à l'égard du continent noir. D'où le thème de l'ordre du jour : «Afrique : assistance ou partenariat». Pour apporter une réponse à cette interrogation que nombres de spécialistes se sont posés pendant des longues décennies, le conférencier a préféré passer par trois pistes qui vont toutes dans le même sens, en l'occurrence le partenariat. En premier lieu, en tant que représentant du secrétaire général des Nations unies pour le développement de l'Afrique, Michel Camdessus a participé à la conférence de Monterrey au Mexique en 2002 avec l'idée de «sacraliser le concept de partenariat» au détriment de l'assistanat, modèle privilégié par les pays développés pour aider ceux dits en développement. Ensuite, à la Conférence du G8 de Gleneagles en Ecosse en 2005, le Premier ministre britannique Tony Blair a été l'initiateur d'une commission chargée de diagnostiquer l'Etat de l'Afrique. Cette commission a désigné 17 personnalités dans des compétences diverses dont 9 africaines pour élaborer un rapport. «L'Union africaine (UA) en a fait son document», souligne Michel Camdessus. Enfin, la troisième piste est relative à l'idée du président français, Jacques Chirac, qui consiste à mettre en place un partenariat stratégique entre pays développés et les pays africains (la taxe des billets d'avion entre autres). Cette voie de réflexion est d'ailleurs confiée à l'ex-directeur général du FMI. Partenariat ou assistance Que signifie substituer le partenariat à l'assistance ? S'interroge le conférencier. «Le grand vice de l'assistance était qu'elle ne peut pas approprier les politiques de développement. Celles-ci appartiennent à celles qui les suggèrent et par conséquent, on se dégage de ce cadre-là», constate Michel Camdessus. Avant d'ajouter que «le Maroc a été l'un des pays en Afrique à se soustraire de ce schéma qui a vécu plus de 40 ans sans avoir rien apporté, sinon peu, aux économies africaines». Qu'est-ce que c'est le partenariat ? Il implique la totale franchise dans le dialogue, le respect de la culture et le regard critique sur l'autre. «Dans le partenariat, on assume ses responsabilités. On emprunte ensemble les chemins escarpés. Ce n'est pas facile», avertit-il. Ce changement de cap à 180° est le résultat de la volonté d'un certain nombre de chefs d'Etat africains, notamment Thabo Mbeki d'Afrique du Sud, chantre de la «Renaissance africaine» et du président Nigéria, Olusegun Obasanjo qui a remis son pays, naguère considéré comme ingérable, sur la voie de la croissance, du recul de la corruption…qui ont saisi l'offre du partenariat. Au sommet du G8 à Gènes en 2001, ces deux chefs d'Etats ont été rejoints par trois autres. Les représentants des 5 pays africains invités par les 8 pays les plus industrialisés de la planète, avec eux l'écrasante majorité des pays du continent, se sont mis d'accord pour transformer les politiques économiques de leurs pays respectifs. Depuis le sommet de Gènes, les Etats d'Afrique fondent leur espoir sur l'investissement privé. La lutte contre la corruption et la bonne gouvernance, notions peu respectées, font leur entrée dans les systèmes de gestion. Par ailleurs, la pratique systématique du déficit budgétaire ou des taux d'intérêt inférieurs à ceux qui ont cours sur le marché international n'ont tout simplement plus droit de cité. «Au plan régional, les Africains ont compris aussi qu'il est de leur intérêt de se réunir le plus souvent pour mettre en place des politiques de prévention. C'est l'une des meilleures voies d'instaurer la paix, d'élever le niveau de l'éducation, de la santé et des infrastructures», soutient Michel Camdessus. L'engagement du G8 La responsabilité des modèles économiques fondés sur le rôle accru de l'Etat dans la gestion des affaires a conduit ici et là à des banqueroutes. Cette réalité reconnue par les dirigeants africains eux-mêmes, a amené les pays riches à tenir un nouveau langage envers l'Afrique. Un document du G8 issu de la réunion de Gènes l'exprime en ces termes: «Le G8 s'engage à faire en sorte que tout pays africain qui respecterait les bonnes politiques devrait être assuré qu'il n'aurait pas d'obstacles financiers pour les objectifs du millénaire». Cinq ans après le sommet de Gènes où en sommes-nous aujourd'hui ? Pour le conférencier, en dépit de certains cas complexes comme la Corne de l'Afrique et la Côte d'Ivoire, une trentaine de pays se sont bien engagés dans le chemin du progrès. La croissance moyenne du continent depuis 2004 aux alentours de 5 %, sera au moins maintenue à ce niveau jusqu'en 2008. Le revenu moyen par tête progresse de 3 % alors que les exportations augmentent de 9 %. Trente pays du continent connaissent une hausse sans précédent des investissements. «Cette inversion des tendances est directement liée aux efforts des Africains», reconnaît Michel Camdessus. L'aide publique au développement qui, il y a 3 ans, était limitée à 55 milliards de dollars, est de 107 milliards aujourd'hui. La part de l'Afrique a doublé dans cette enveloppe. À Gleneagles, le G8 s'est engagé à investir en Afrique jusqu'en 2008 quelque 70 milliards de dollars. Ce montant pourrait même atteindre les 100 milliards en 2009. Ce qui permettrait au continent d'atteindre les objectifs du millénaire en 2015. Ceci dit, pour Camdessus, pour que cette tendance demeure, les sociétés africaines doivent doubler de pragmatisme.