La réforme du code de la famille ouvre une perspective qui semblait bloquée par les conservatismes. Après des élections communales discréditées, une nouvelle page s'ouvre pour faire avancer les réformes vitales. L'ouverture de la session d'octobre du parlement est à marquer d'une pierre blanche : le discours royal a annoncé une réforme importante du Code de la famille. Cette avancée, tant attendue depuis de longues années, bouscule un état de fait qui n'a que trop duré au détriment des femmes, des familles et du progrès de la société. Cette réforme se veut à la fois audacieuse et équilibrée. Quelles que soient les nuances d'appréciation qui vont s'exprimer à son sujet, elle a l'insigne mérite de montrer que la réforme est possible, que l'horizon n'est pas bloqué, malgré le poids des conservatismes plus ou moins rétrogrades. La question du Code de la famille a trop longtemps empoisonné le climat politique et sociétal. Les divers mouvements islamistes ont beaucoup spéculé là-dessus, en en faisant un cheval de bataille de première ligne. La commission désignée par le Souverain pour élaborer un projet de réforme, a vu s'affronter les positions les plus radicalement opposées. L'arbitrage royal auquel le gouvernement Youssoufi, trop timoré pour défendre son propre plan et convaincre, a enfin tranché. La méthode consistant à laisser les positions s'assouplir ou s'éroder dans les débats de la commission s'est révélée porteuse. Les attitudes conservatrices les plus rigides, fermées à toute adaptation de la loi aux réalités, sourdes aux injustices et aux souffrances vécues par les femmes et les enfants ont ainsi été confrontées à leur inanité et à leur dangerosité. La réforme qui vient de recevoir l'aval du Roi est cependant restée consensuelle en aménageant, sous forme de précautions et d'exceptions contrôlées, des dispositions anciennes. L'optique malékite réaliste et modérée, loin des extrêmes, est de ce fait mise en exergue et en pratique. L'Ijtihad (effort jurisprudentiel) est revalorisé et requis contre la fermeture dogmatique. “Facilitez et ne compliquez point” : cette recommandation du Prophète, est invoquée par le Roi pour rappeler que la finalité de loi n'est pas d'opprimer mais d'être la plus humaine possible. Pas de démocratie sans démocrates L'événement que constitue l'annonce de cette réforme jette, par contraste, une lumière crue sur la grisaille d'un parlement discrédité par les pratiques douteuses qui ont conclu les dernières élections communales et l'élection du tiers vacant de la chambre des conseillers. Alors que le pays était, notamment depuis le 16 mai, dans l'attente d'un renouveau du rôle et des comportements des partis, mais aussi des organes étatiques, on a assisté à une exacerbation des clientélismes et marchandages. Au vu de telles mœurs, le Roi a fait le constat que “le bond qualitatif” est encore loin d'être réalisé et que “ainsi que nous l'avons maintes fois rappelé, il n'y a pas de démocratie sans démocrates”. Devant l'urgence des solutions à apporter aux problèmes vitaux en matière d'investissement et de promotion des activités productives ainsi qu'en matière sociale (emploi, habitat, école, santé, etc), le microcosme politique a davantage creusé ses retards et ses ornières. Des questions déontologiques ont été posées avec encore plus de gravité (alliances douteuses, nomadisme, corruption). Le projet de loi sur les partis qui, en principe, sera soumis au parlement permettra-t-il de les aborder franchement et de réhabiliter la politique ? Assiste-t-on à une forme sournoise de reclassements politiques où les anciens clivages, idéologiques et historiques, ne jouent plus qu'un rôle mineur ? C'est ainsi que les résultats nominaux des votes aux élections ne se retrouvent pas au stade final au moment du vote des grands électeurs, c'est-à-dire des élus, pour le choix des présidents des conseils des villes et des communes ou pour l'élection des conseillers au parlement. L'USFP qui avait été classé second aux communales s'est retrouvé en bas de l'échelle dans les conseils des villes et à la chambre des conseillers. Des partis comme l'UC, minoritaires à ces élections, ont remporté mairies et communes alors que les formations de la “Mouvance populaire” se retrouvent en première position, au plan local comme au plan national. En l'absence d'un véritable débat sur les options et les programmes, l'opacité est devenue totale. On ne sait plus qui représente qui ou quoi. Au moment où l'exigence est réaffirmée d'une démocratie où les acteurs respectent les conditions de base et les règles de celle-ci, la représentation politique est brouillée. Les tractations et les tiraillements s'annoncent déjà pour l'élection du président de la Chambre des conseillers et pour la constitution des groupes parlementaires. Les travaux de cette session risquent de se ressentir des efforts délétères des dernières élections. Outre la loi de Finances où le volet social est laborieusement soutenu, d'autres projets de loi, encore en veilleuse, doivent être examinés : notamment ceux portant sur la réforme de la sécurité sociale, sur la bourse des valeurs et les organismes de placement de ces dernières ainsi que sur le code des assurances. Urgence des réformes La prééminence des questions économiques et sociales est plus que jamais à l'ordre du jour. Reportés de session en session, des textes de première importance devront être soumis à l'épreuve des positionnements et des intérêts réels. C'est ici que le poids des conservatismes risque aussi de se manifester. Dans le contexte post-électoral actuel, la majorité gouvernementale est sortie amoindrie et sur elle pèsent les équivoques et les interrogations. Déjà les spéculations sont allées bon train sur de possibles reclassements et une nouvelle configuration. Elles ont porté aussi sur un éventuel changement de gouvernement, avec le départ de Driss Jettou ou encore avec le maintien de ce dernier. Au centre des supputations se trouve le rôle accru qui serait dévolu aux partis de la “Mouvance populaire” dont certains représentants ne cachent pas leurs prétentions à incarner “la principale force”. L'Istiqlal qui, au cours des élections, a fait preuve d'un opportunisme, sans fausse pudeur, manifeste une attitude qui se veut “sereine” et disponible, en tant aussi que “première force” issue des élections communales. Le RNI, éternel “centriste” paraît sans inquiétude car apte à toute recomposition de la majorité. Il reste que les groupes de l'opposition, notamment le PJD et l'UC, requinqués par les communales où ils ont été les minoritaires gagnants (autre curiosité marocaine) ne veulent pas être en reste. Certains de leurs dirigeants ne cachent pas qu'ils seraient prêts à faire partie d'une nouvelle composition gouvernementale. La question primordiale est celle ayant trait à l'USFP et à son éventuel retour dans l'opposition. Aux prises avec de sérieux problèmes internes où la direction de Abderrahmane Youssoufi est publiquement mise en cause, ce parti qui avait conduit l'expérience de l'alternance, est en proie au doute. Au moment où la réforme vient de recevoir un sérieux coup de pouce avec l'annonce par le Souverain du nouveau Code de la famille qui, pour la première fois, sera discuté au parlement, il est paradoxal de voir s'afficher en politique les conservatismes et les mauvaises pratiques alors que la gauche “réformiste” est sur le fil du rasoir.