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Amos Gitaï, un cinéaste pour la paix
Publié dans La Gazette du Maroc le 21 - 11 - 2005

En marge du Festival International du Film de Marrakech, La Gazette du Maroc a rencontré l'un des cinéastes les plus respectés dans le monde, l'Israélien Amios Gitaï, auteur de “Kedma”, de “Yom Yom”, de “Kippour”, de “Free Zone”…
Un auteur très controversé dans son propre pays pour ses prises de position pour le moins très courageuses. Un homme et un artiste qui milite pour la paix les deux peuples palestinien et israélien, qui n'hésite pas, l'ombre d'une seconde, à critiquer le gouvernement d'Ariel Sharon. Un cinéaste qui refuse la violence, qui dénonce l'injustice et la barbarie. Un homme engagé pour que le Moyen-Orient cesse d'être une poudrière de sang et d'humiliation. Un homme qui dit aimer le peuple arabe et les Palestiniens sans jamais faire de distinction entre les identités, mot qui le dégoûte au plus haut degré. Retour sur une rencontre avec l'un des cinéastes les plus subtils et les plus réfléchis du cinéma moderne.
On s'en souvient, c'était lors du festival de Cannes, Amos Gitaï présentait son film et dans la même sélection, Elia Suleiman, le Palestinien attendait une récompense. Une même année avec deux films représentant deux pays en guerre, la Palestine et Israël. Un fait inédit pourtant quand on parlait aux deux réalisateurs, il n'y avait aucune place à la guerre. Au contraire. Tout comme Suleiman, Gitaï était heureux que ce film palestinien (d'ailleurs produit par 2M) soit dans la compétition et se félicitait de ce fait parce qu'il jugeait que «c'est une excellente chose de montrer le point de vue d'un cinéaste palestinien… et je serai le premier à applaudir s'il a un prix». On s'en doute bien, en Israël, beaucoup n'avaient apprécié les paroles d'Amos Gitaï, jugées déplacées dans «un contexte critique». La presse lui tombe dessus et lui ne se défend même pas. Au contraire, il multiplie les sorties pour parler des déphasages qui polluent la politique dans cette région du monde. Ce qui marque dans le discours de Gitaï, c'est le sens de la nuance et cette subtilité toute sereine de prendre beaucoup de recul. Antisémitisme et racisme. En 2002 donc, suite à la sélection du film palestinien, il y a eu l´appel de l´American Jewish Congress de boycotter le Festival de Cannes. Face à une telle prise de position, Amos Gitaï trouve sa réponse : «Il est juste de s´opposer à l´antisémitisme et au racisme parce qu'il ne faut pas répéter les expériences du passé, mais Cannes est un lieu de dialogue et le dialogue doit toujours être encouragé». Pour Gitaï, les choses sont claires, si les deux peuples ne communiquent pas, les politiciens peuvent les manipuler comme ils veulent chacun selon ses intérêts. Et quand on lui parle du retour de l´antisémitisme en Europe, qu' il a anticipé dans l'un de ses documentaires «Wuppertal», il dit qu'«En France, en Hollande, en Italie on assiste à un procès de révisionnisme, une réhabilitation des faits qui ne doivent pas se répéter. Mais l´antisémitisme a la même racine de la haine pour les Palestiniens, et les Européens devraient y réfléchir». Pour Gitaï, il est impossible de parler de racisme sans parler de la Palestine. Pour lui, il est hors de question de faire des compartimentations de points de vue. Il y a un peuple qui souffre et il faut le dire, il faut que le monde entier sache et c'est là l'unique moyen réel de trouver des solutions à la crise. Et là, nous sommes sur le terrain favori de Gitaï, les médias qu'il fustige pour leurs partis-pris, leur démagogie et les limites de l'objectivité : «Les infos à la télévision ressemblent à une série-télé, où les victimes deviennent les figurants d´un jeux médiatique tout à fait imprévisible» Et les victimes dont il parle ici sont les Palestiniens. «Les médias, audiovisuels avant tout, sont répétitifs et binaires. Ils créent des images en noir et blanc sur des scénarios hermétiques dans lesquels Israéliens et Palestiniens, relégués au rang d'archétypes, ne font que de la figuration. Aucune place pour le gris, l'ambigu. A la clef, une vision erronée, qui ignore les mouvements souterrains». Et il ajoute sans compromis aucun : «Je crois qu'on est trop bombardé par des images trop simplistes, binaires, manichéennes... Nous, les gens du Moyen Orient, on est en train de servir une sorte de feuilleton absurde qui est produit par le journal de 20 heures, où chaque jour il y a les méchants et les bons. Un jour c'est les Israéliens qui sont les bons, le lendemain ça va être les Palestiniens, et nous on a un rôle simplement de figuration dans ce scénario écrit dans les centres médiatiques. Je crois qu'il faut dire qu'on en a marre de jouer ce rôle. Il faut aussi composer et montrer les contradictions. Et le cinéma c'est une bonne forme d'art pour montrer les contradictions». Palestiniens et Israéliens. «Oui, j'ai toujours soutenu les efforts de paix. Je n'ai jamais cautionné le moindre acte barbare de la part de l'armée ou du gouvernement. Je me suis toujours par mes films et par mes morts opposé à l'injustice et à la violence. Oui, le peuple palestinien doit être souverain, doit vivre dans la dignité et la paix. Ils ont souffert comme les juifs, pourquoi doivent-ils payer?» Et là on lui rappelle ce que le poète Haim Azaz disait en 1946 que pendant des siècles les juifs ont été « le peuple sans Histoire » et qu'aujourd´hui ils sont entrés dans l´Histoire, pour le bien et pour le mal. Amos Gitaï qui connaît très bien l'histoire de cette région du monde, lui qui est un pur natif de Haïfa; explique que «Pendant des siècles, discriminés, persécutés et brûlés, les juifs n´étaient pas maîtres de leur destin et n´avaient aucune souveraineté. Mais de la souveraineté naît le pouvoir et du pouvoir la contradiction et l´abus». C'est le type de sorties que le gouvernement israélien n'apprécie guère. Et c'est là que le plus grand cinéaste israélien devient presque un ennemi, un traître dans son propre pays. Pour Gitaï, il y a ceux qui l'aiment sans commune mesure parce qu'ils sont compris le sens de son engagement pour la paix et ceux qui le haïssent et qui ne peuvent voir en lui qu'un pro-arabe. «Je ne crois pas à la pureté, mais au mélange, au métissage, aux formes non cohérentes. Le concept de pureté mène toujours à une attitude autoritaire, qu'il s'agisse de pureté de la race, de la pensée, de l'idéologie. Il faut polluer cette notion. C'est pourquoi j'utilise le concept de pureté, pour le mettre en question dans mon cinéma ». Et le cinéma de Gitaï traduit son engagement dans ce sens que pour lui, il est hors de question d'être un spectateur, un homme passif, un comparse de son propre histoire : «Je crois profondément qu'il faut adopter une position sur le plan social, politique, visuel, ne pas consommer simplement le monde, agir sur le contexte. Mais cette opinion ne doit pas me conduire à des préjugés. Quand on fait un film sur un milieu qui n'est pas le nôtre, alors on doit plonger, tenter d'en comprendre les éléments sans pour autant perdre son identité. C'est un exercice de corde raide qui me paraît nécessaire». Et le travail d'équilibriste est d'autant plus corsé qu'il s'agit là de la plus grande crise humaine que vit le monde moderne au Moyen-Orient, la guerre en Palestine qui ne dit pas son nom et où les victimes se comptent par milliers. Il ne s'agit donc pas de faire semblant que le monde est tel qu'on nous le décrit, mais pour le cinéaste, il faut plonger dans la vie des deux peuples comme il l'a fait pour Kedma ou pour Kadosh où il a traité le problème de l'extrémisme religieux.
La question pour lui est de savoir si on peut être religieux et Israélien? «Historiquement, la question de savoir ce qui définit un Juif est très complexe, parce qu'il existe une continuité, dans le judaïsme, entre une définition ethnique, voire nationale et une conception religieuse. La distinction n'est pas mécanique. Ce pays doit définir son avenir tout en prenant en compte cette dimension de la mémoire et de la religion. Ce sont deux forces en présence: les forces de la modernité, réformistes, rénovatrices, aux prises avec des forces conservatrices, parfois réactionnaires. C'est l'âme de la société israélienne qui est en jeu.» Introspection historique lucide pour un homme dont l'image traduit le malaise de deux approches philosophique et politique. Et il continue en expliquant que : «Je ne suis ni croyant ni religieux, mais je crois qu' on a besoin du spirituel en ce moment, où la relation de l'individu à la société est capitaliste, consumériste, et aliénante. La seule façon aujourd'hui d'avoir une expérience spirituelle, c'est de consommer, consommer des expositions, des spectacles etc. Mais l'individu ne participe pas à l'élaboration d'un sens, ne se construit pas un univers spirituel personnel. Le cinéma est pour moi une expérience de cette nature. Il me permet de dialoguer intellectuellement, spirituellement, avec les éléments de ma propre biographie, avec mes origines, avec les autres. C'est le dialogue qui permet une existence plus spirituelle. D'une certaine façon, je comprends les frustrations que ces gens éprouvent, et c'est la raison pour laquelle je ne porte pas de jugement. Je peux comprendre le regard critique sur le monde moderne de ceux qui ont besoin d'une expérience spirituelle. Je n'accepte pas leur solution, parce qu'ils cherchent à établir des structures autoritaires auxquelles je n'adhère pas. Mais je comprends leurs besoins et leurs efforts». Le conflit La haine n'a pas besoin de politique pour trouver une solution aux massacres. La politique tronque les faits et leur donne des significations qui sont souvent très éloignées des réalités des peuples. Pour Amos Gitaï, il faut explorer l'inconnu, aller à la rencontre des véritables questions que les gens qui souffrent tous les jours à cause des chars, des maisons détruites, des bus qui explosent, des mères qui perdent leurs enfants et des parents qui ne voient revenir leurs enfants ; il faut toucher à la douleur des uns comme des autres, là où le sang coule. Ce travail a été fait dans plusieurs films mais surtout dans “Free Zone”, un film-choc, un coup de poing dans la gueule de l'hypocrisie ambiante : «J'explore les zones, méconnues, où perdure une coopération israélo-palestinienne. Elles sont rares. Citons les élites artistique et intellectuelle, marginales, ou le crime organisé, anarchique par nature, et qui défie les frontières et les drapeaux. Je compte poursuivre dans cette voie. Raconter l'histoire d'une zone franche, où les «ennemis» s'obstinent à commercer, ou l'engagement des femmes, qui en ont marre des mecs et de leurs treillis. La coalition la plus robuste, au Proche-Orient, est celle qui réunit l'extrême droite israélienne et le fondamentalisme musulman. Ensemble, ils sabotent toute initiative constructive. Pour briser ce pacte, il faut pas à pas restaurer la confiance, lever les barrages, neutraliser le terrorisme, démanteler les colonies. En clair, déminer le terrain». Et c'est là que le rôle des intellectuels doit apporter sa contribution pour aider les deux peuples à vivre dans la confiance. Gitaï ne se laisse pas aveugler par les discours oiseux et creux de tous ceux qui veulent avoir des visions monolithiques.
Il sait que l'intelligentsia israélienne a, en partie, déserté le camp pacifiste et il porte un regard serein sur ce point : «Nous, les «intellos», appliquons notre exigence de perfection à la résolution du conflit. Enorme erreur: la politique n'est pas l'art de la solution parfaite. Ceux qui, au nom de la pureté, s'accrochent à ce mythe finissent comme Pol Pot. En Israël, beaucoup d'esprits éclairés ont rallié le courant dominant des faucons avec d'autant plus de véhémence qu'ils s'en veulent de leur naïveté passée. Un premier pas vers le nihilisme... Je ne me résigne pas au pessimisme. Les deux peuples mesurent les limites de ce qu'on peut obtenir par la violence ou par la suprématie militaire. Même s'ils demeurent pleins d'eux-mêmes et indifférents au sort de l'autre.» ET le pessimisme et l'optimisme dans toute cette logique de non-sens ? Amos Gitaï pense que pour trouver des explications, il faut rester ancré dans les désirs des populations et non des politiciens. Et là il nous raconte une anecdote comme mot de la fin : «Une fois j'ai fait une interview avec le maire palestinien de Naplouse; je lui ai posé la même question que vous venez de me poser. Il m'a fait une réponse que j'aime beaucoup; il m'a dit : c'est un luxe d'être pessimiste. Et je crois que c'est un luxe. Il ne faut pas qu'on tombe dans une sorte de nihilisme. Il faut qu'on garde un espoir, celui qu'un jour les deux côtés vont comprendre qu'il peut y avoir des différences, même des conflits, c'est légitime, mais qu'il faut arrêter la tuerie. Il ne faut pas tuer, même si on n'est pas d'accord ! J'espère que ce moment est proche. Il faut toujours être prudent avec le Moyen Orient».


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