Le Makhzen (nom donné à l'appareil étatique marocain) semble perdre de son pouvoir de dissuasion sur lequel il comptait et s'appuyait avec succès par le passé Mohamed VI sera-t-il le dernier roi marocain? La question peut apparaître grotesque étant donné que la récente réforme constitutionnelle initiée par le monarque (et soumise à référendum le 1er juillet dernier) vient juste d'être approuvée à 98,5% des suffrages exprimés et que la majorité de la population reste profondément attachée à la monarchie. En 2008, l'ancien journal Nichane a publié un sondage révélant que plus de 90% des Marocains étaient favorables au Palais – des chiffres sûrement valables encore aujourd'hui. Cependant, bien que jouissant d'une popularité enviable, il se pourrait bien que la survie à long terme du régime alaouite ne soit pas si assurée que l'on ne le pense. Contrairement à son père, feu Hassan II, qui, pour se maintenir au pouvoir 38 années durant, sût combiner réformes constitutionnelles, répressions et cooptation de l'opposition, Mohamed VI, quant à lui, se retrouve confronté à une série de nouveaux défis que des réformes constitutionnelles purement cosmétiques auront beaucoup de mal à maîtriser. Pour commencer, Mohamed VI semble incapable de se dissocier d'un entourage très impopulaire. Etant donné son omnipotence quasi-totale en ce qui concerne la politique marocaine, le roi aurait pu atténuer la contestation populaire dès le début en punissant ceux de son entourage que la majorité de la population méprise : le très impopulaire Premier ministre Abbas El Fassi et sa famille tentaculaire ; son conseiller et ami proche, Mounir Majidi (qui domine l'économie du pays grâce à sa proximité avec le Palais) ; ou encore le très critiqué ministre de l'Information et de la Communication, Khalid Naciri, dont l'attitude a choqué nombre de marocains quand il a menacé un policier qui tentait d'arrêter (à juste raison) son fils devant le Parlement. Nombre de marocains considèrent ces trois personnages comme le symbole de la corruption et du népotisme. Au lieu de s'attaquer au vrai problème, à savoir la corruption, le roi utilise la même stratégie que son père vingt ans plus tôt : une réforme constitutionnelle cosmétique pour essayer d'accroître sa légitimité et faire taire la contestation populaire. Comme l'ont démontré de nombreux analystes, le nouveau texte constitutionnel ne restreint en aucune manière l'autorité du roi. Au lieu d'être « sacrée », la personne du monarque est maintenant « inviolable » et ne peut être ni être critiquée ni tenu responsable. Le roi nomme tous les membres du gouvernement (y compris le Premier ministre qui doit être issu du parti dominant) et maintient un droit de veto sur toutes les décisions du gouvernement ou du Parlement. La nouvelle constitution n'offre aucune possibilité de limiter l'impunité des amis intimes du roi et de leurs familles, qui continueront éventuellement à utiliser leur proximité avec le Palais pour dominer la sphère économique et échapper au contrôle judiciaire. Cependant, chaque jour qui passe voit de nouveaux opposants à la corruption, au népotisme et aux violences policières se rallier au Mouvement du 20-Février pour la démocratie, tandis que le Palais, lui, est incapable de trouver de nouveaux partisans. Etant donné la nature informelle et décentralisée de l'opposition actuelle, il est relativement facile pour n'importe quel citoyen mécontent d'y trouver un lieu pour exprimer ses revendications ; la monarchie quant à elle, se repose toujours sur les mêmes intermédiaires traditionnels déconsidérés (tels que les notables ruraux ou encore les partis politiques cooptés) sur lesquels elle s'appuyait immanquablement par le passé sans réaliser que ces mêmes intermédiaires corrompus sont ceux à l'origine de la colère de la population. Le régime se comporte de manière frustrante : il force un certain nombre de journalistes respectés à revoir à la baisse leurs critiques du gouvernement, pousse des artistes auparavant indépendants à prendre position en faveur de la monarchie et oblige même des groupes religieux apolitiques à s'engager dans des activités pro-gouvernementale – ce qui, au passage, ne fait qu'irriter les militants. Plus important encore peut-être, le roi ne peut recourir au même degré de répression que son père utilisait contre l'opposition de gauche au cours des années 60 et 70. Hassan II, lui, n'hésitait pas à kidnapper, torturer ou emprisonner nombre d'opposants ; Mohamed VI, quant à lui, doit prendre en considération et les organisations internationales des droits de l'homme qui ont les yeux de plus en plus rivés sur le Maroc et le climat révolutionnaire généralisé qui règne depuis les révolutions tunisienne et égyptienne. Ces dernières années, le gouvernement marocain a réussi à passer sous silence la torture systématique de militants islamistes présumés, mais aujourd'hui le printemps arabe a redonné aux militants locaux le courage de s'exprimer au grand jour, de publier sur Facebook et Youtube des vidéos audacieuses et même de tenter d'organiser un pique-nique devant un centre de torture supposé, situé à environ 3 km du palais royal. Dans les faits, le Makhzen (nom donné à l'appareil étatique marocain) semble perdre de son pouvoir de dissuasion sur lequel il comptait et s'appuyait avec succès par le passé. Pour finir, le Palais se retrouve face à une opposition très organisée et déterminée, active dans tout le pays et qui s'affranchit des clivages régionaux, économiques et sociaux. Tandis que sous Hassan II l'opposition était principalement urbaine et éduquée, le roi actuel se retrouve à la fois face à des jeunes urbains très engagés, des membres du très populaire mouvement islamique al-Adl wal-Ihsan (Justice et Bienfaisance), des syndicats radicaux, des sympathisants de la cause berbère, des blogueurs estimés ainsi qu'un large éventail de militants à l'étranger partiellement organisés. Le niveau et la qualité de la mobilisation populaire sont sans précédent. Depuis février, les militants pour la démocratie organisent systématiquement des manifestations tous les dimanches dans 25 villes du royaume, du jamais-vu dans le pays ces dernières années. Le mois de Ramadan, occasion spéciale pour les Marocains, offre également aux militants locaux un terrain exceptionnellement fertile. Malgré la présence massive de la police, les activistes organisent en soirée, des repas de rupture du jeûne suivis d'importantes manifestations dans des quartiers populaires à travers tout le pays. Sans une réforme véritable, que la nouvelle constitution est loin de satisfaire, la base populaire de la monarchie ne cessera de s'éroder jusqu'à ce qu'il soit peut-être trop tard pour le roi de se racheter en se séparant de ses indécents amis. Etant donné que la nouvelle constitution ne demande pas au roi de rendre plus de comptes et que le contexte de sa rédaction montre la mauvaise foi du Palais (le comité responsable de l'élaboration du texte était composé de personnages connus pour leur loyauté au monarque, alors que les partis politiques et les syndicats n'ont été consultés que de manière très superficielle), il apparaît clairement que la monarchie n'est pas disposée à satisfaire une des plus importantes demande des manifestants, à savoir : mettre de l'ordre dans sa propre maison et limiter l'avidité des ses nombreux associés. Prétention démesurée ou irresponsabilité, les années à venir nous le dirons… Merouan Mekouar est doctorant en sciences politiques à l'université McGill et chercheur au Consortium inter-universitaire pour les études arabes et moyen-orientales (Montréal).