Le cheptel femelle est de plus en plus destiné à l'abattage. Pour ne rien arranger, à cause d'une alimentation non équilibrée, le poids carcasse des bêtes a baissé de 30%. Hausse des prix en vue. Le renchérissement des matières premières a eu raison des filières animales. A l'instar du secteur avicole, celui des viandes rouges en pâtit également, à tel point que le président de la Fiviar, M'hammed Karimine, estime que la filière se porte mal. Par manque d'aliments en raison de leur cherté, les éleveurs ne peuvent plus garder leur cheptel et commencent même à orienter les femelles censées être destinées à la reproduction, à l'abattage que ce soit pour les bovins ou les ovins. L'origine de cette situation est la sécheresse, bien entendu, qui a entraîné une baisse du couvert végétal de 80% l'année dernière. Les éleveurs ont dû se rabattre sur les concentrés, à savoir les grains et les aliments composés, pour assouvir l'appétit de leur bétail. Tout allait plus ou moins bien, jusqu'à ce que la guerre éclate entre la Russie et l'Ukraine et que les grains dont l'orge, le maïs et le soja atteignent des niveaux élevés, arrivant des fois au double de leurs prix d'avant-guerre, pour certaines séances de cotations à la Bourse de Chicago. Le maïs par exemple avait atteint un pic de 814 cents/boisseau en avril dernier, alors qu'il était à 500 cents à fin 2021 et 683 cents à date d'aujourd'hui. Pareil pour le soja qui est passé de 1 228 cents/boisseau à 1746 en avril, avant de fléchir actuellement à 1 366 cents. Même si certains ont pu s'adapter à cette flambée des prix, tant bien que mal, il reste que le bétail n'a pas besoin que de grain pour améliorer sa masse de viandes. Il requiert également du grossier (fourrage, paille et foin), qui, eux, sont indisponibles, à cause justement de ce manque pluviométrique. Il est à savoir qu'un kilogramme de viande est produit en combinant les grains et aliments composés à hauteur de 80% et les prairies et la main-d'œuvre avec 20%. Et si une bête nécessitait 20 DH par jour, pour son alimentation avant guerre et crise sanitaire, elle exige actuellement près de 40 DH. Et encore! Cette flambée des prix n'intègre pas le coût du transport, de la logistique et de la hausse du cours de change du dollar. En conséquence, les bêtes présentées à l'abattoir se sont révélées moins bien entretenues. Pas de pénurie de viandes Résultat des courses : la qualité du bétail disposé à l'abattage n'est pas au rendez-vous. En effet, le poids carcasse a diminué de 30% pratiquement. Et c'est justement ce qui explique ce semblant de manque de viandes rouges dans les boucheries et grandes surfaces. En fait, l'offre n'a pas été réduite et le nombre de bêtes présentées à l'abattage n'a pas changé. Ce sont plutôt les bêtes qui ne servent pas la même quantité de viandes qu'auparavant, en raison justement de l'alimentation non équilibrée. Et dans un souci de maintenir les marchés approvisionnés et pour les autres raisons, les femelles sont abattues également. Cette situation intervient malgré le programme de sauvegarde de cheptel, initié sous impulsion royale et qui a concerné, entre autres, la subvention de l'orge et l'abreuvement du bétail pour un coût de 2 milliards de DH. «Il a certes permis de diminuer les effets de la sécheresse sur le bétail et les éleveurs, mais n'a pas contribué à rattraper complètement les conséquences», souligne M.Karimine. Ce chamboulement a fini par rattraper les prix également -qui s'étaient maintenus en stabilité pendant toute la période du Plan Maroc Vert-, enregistrant une augmentation d'en moyenne 20%. Ainsi, le kilogramme de viande se situe actuellement entre 80 et 90 DH. «Même avec ce niveau de prix, les éleveurs vendent à perte. Ils ne le ressentent pas, puisqu'ils ne tiennent pas de comptabilité analytique qui leur permet de définir leur coût de revient et leur marge déficitaire/bénéficiaire», se désole notre source. Il est utile de rappeler que pendant la période forte de pandémie, le prix avait baissé pour se situer entre 65 et 75 DH/kg, en raison de restrictions de sortie et de déplacement qui ont miné la demande des ménages mais aussi des restaurateurs, hôteliers... Comment devrait évoluer la filière face à toutes ces contraintes ? Deux cas de figure se présentent, aux yeux de M. Karimine, et ils sont tributaires de l'orientation de l'année agricole. Si le Maroc enregistre des précipitations pluviométriques satisfaisantes, les éleveurs ne devraient plus mettre leurs bêtes à l'abattage, ou du moins, pas comme avant. Ils devraient les garder et profiter du couvert végétal qui se porterait mieux et ce, dans un but de reconstituer leur cheptel affaibli l'année d'avant. Comme l'offre devrait diminuer, la demande en viandes rouges ne serait pas totalement satisfaite. Ce qui devrait engendrer mécaniquement une hausse des prix à la vente. Le président de la Fiviar prévoit un prix dépassant 100 DH/kg. Comme quoi, une bonne pluviométrie n'est pas forcément synonyme d'amélioration de situation! Si, dans le cas contraire, la pluie manque à l'appel, la situation actuelle devrait se poursuivre. Autrement dit, les producteurs devraient continuer à sacrifier le cheptel, femelle compris, pour ravitailler le marché marocain. Autosuffisance, jusqu'à nouvel ordre Vu cet état de fait, l'interprofession a tenu des réunions avec l'autorité de tutelle, en vue de la levée des barrières douanières contraignant l'importation d'animaux pour l'abattage. Ainsi, un décret vient d'être adopté en conseil de gouvernement, mercredi 19 octobre, autorisant l'importation de taurillons prêts à l'abattage, d'un poids minimum de 550 kg, comprenant les femelles de réforme. La décision court jusqu'au 31 décmbre 2023. L'objectif est de diminuer la pression sur le cheptel marocain, sans pour autant activer la concurrence avec les producteurs marocains. Il s'agit aussi de sauvegarder le bétail, surtout femelle et éviter l'explosion des prix à la vente. Aucun nombre de têtes ne sera fixé. L'approvisionnement devra se faire au fur et à mesure de l'évolution de la demande. Bien que le Maroc soit en auto-suffisance en matière de viandes rouges, grâce aux efforts déployés depuis le lancement du Plan Maroc Vert, le pays importe près de 40 000 têtes annuellement. Cela rentre dans le cadre des accords de libre échange avec l'Union Européenne. Sauf que ces animaux ne sont pas destinés à l'abattage directement. Ils sont importés dans un but de valorisation. «Ce sont des lots homogènes de taurillons de 300 à 350 kg au maximum, qui sont importés et engraissés au Maroc, et qui sont abattus une fois qu'ils atteignent 600 à 650 kg», conclut M. Karimine. La valorisation, un des autres maux Si les contraintes d'approvisionnement du marché pèsent sur la filière, d'autres problèmes restent encore plus difficiles à gérer. L'allusion est faite à la valorisation du secteur et de ses opérateurs. La filière ne compte actuellement que 5 abattoirs agréés par l'ONSSA, alors que le PMV avait projeté la mise en place de 12 unités. L'abattage se fait dans des abattoirs anarchiques à des prix bien moins inférieurs que les autres établissements agréés, soit 100 DH contre 900 DH pour les premiers. A côté, les boucheries constituent aussi un maillon faible de la chaîne. Les 8 000 que compte le Maroc n'arrivent toujours pas à se mettre à niveau, par absence d'un programme ficelé et d'une forte implication des parties. Dans ce cadre, la fédération prévoit de leur consacrer un fonds en vue de les mettre à niveau, que ce soit en termes de surfaces propres, de revêtements, ou d'équipements garantissant la chaîne de froid de la viande. Pour ne rien arranger, un autre volet reste problématique, lié, lui, aux transactions des animaux. Le PMV avait envisagé de créer des marchés dédiés, mais ils ne sont pas encore réalisés.