Non, ce n'est pas une blague. Si, si, je vous assure. C'est vrai que vous n'êtes pas obligés de me croire. J'ai toujours raconté n'importe quoi. J'ai toujours dit et écrit tout ce que je pensais sur presque tout et sur à peu près tout le monde. Je ne respectais rien ni personne. Je critiquais tous ceux qu'on ne doit jamais critiquer et qui sont, entre nous, souvent très critiquables. J'attaquais avec rogne et sans vergogne, comme un témoin à charge, des gens inattaquables et qui ne se défendaient jamais, de peur que je ne revienne pas à la charge. Je me marrais sur le compte de tous ceux qui comptent, et qui, d'ailleurs, comptent bien continuer de compter jusqu'à régler tous nos comptes. Mes amis et mes proches avaient beau essayer de me remettre sur le bon chemin en m'expliquant toutes les vertus des yeux clos et tous les bienfaits de la bouche fermée, mais je ne voulais rien entendre. Je suivais mon instinct de prédateur et mon vice de voyeur à la recherche du moindre mot de trop d'un politique, du moindre chiffre ambigu d'un économique, de la moindre absence d'un parlementaire, du moindre transfert d'un sédentaire, du moindre raté d'un footballeur et de la moindre raillerie d'un entraîneur. Je guettais mes proies, je leur tendais des guet-apens parfois et je ne leur laissais aucun choix : ils avaient forcément toujours tort, et moi, évidemment, j'avais toujours raison. De plus, pour cacher mon jeu, je jouais au gentil. Je me présentais comme le défenseur sympathique de la veuve, de l'orphelin et des coucous, et le rebelle indomptable qui combat les bandits et fustige les voyous. J'étais l'agneau à la peau de vache et l'ourson au comportement de mufle. Je faisais peur. Grrrr... Bouh... Je donnais des frissons à tous les frileux et je n'avais jamais froid aux yeux. Chaud devant ! Non, je ne prévenais jamais avant de foncer sur les passants, je ne klaxonnais jamais aux croisements, je n'avertissais jamais avant de rouler dans une mare et je ne faisais jamais d'appel de phares avant de déclencher un tintamarre. J'étais en deux mots : politiquement incorrect. Mais, aujourd'hui, j'ai changé. Je suis devenu un homme nouveau. À partir de dorénavant, je vais être, irréversiblement, politiquement correct. Comme vous... enfin... comme tout le monde. Ce n'est pas une blague, je vous dis ! Non, je ne suis pas un lâche et je ne veux pas vous lâcher. Je ne suis pas fatigué non plus. J'ai fini tout simplement par me rendre compte, qu'au fond, j'étais un faux méchant. En fait, ça fait longtemps que je sentais que je me forçais un peu en me montrant grincheux, que ça commençait vachement à me gêner de taper sur les gens, y compris sur les tapeurs. Il y a même des jours où il m'arrivait de craquer juste après avoir envoyé mon billet, et avant même qu'il ne soit publié. S'il n'y avait pas cet orgueil mal placé qui m'appartient et cet ego démesuré qui est le mien, je pourrais rappeler aussitôt pour renoncer, mais je n'ai jamais pu le faire. Mais, aujourd'hui, je n'ai plus à m'en faire. Ma décision est prise. Je le dis, je l'écris, je le crie : je suis devenu politiquement correct. Un vrai de vrai. Youpiiiii ! Désormais, je vais admettre sans mal qu'après tout, notre gouvernement n'est pas si mal, que notre Parlement n'est pas si lamentable, que notre administration n'est pas trop bancale, que les dessous-de-table, c'est un peu normal, que nos investissements sont plutôt rentables et que les prix de presque toutes nos denrées sont abordables. Bref, tout sera bien dans le plus beau pays du monde et d'ailleurs. Je vous préviens qu'avec moi, le ciel sera toujours bleu, les près toujours verts et la vie toujours rose. Dès demain, je vais vous en faire voir de toutes les couleurs !