Jean Zaganiaris, écrivain, politologue et sociologue, enseignant-chercheur à EGE Rabat et au CERAM./DR Le présumé homosexuel tabassé à Fès, l'histoire de la jupe à Inezgane et la campagne «respect ramadan, no bikinis» à Agadir sont des affaires relayées par les médias dernièrement et qui méritent que l'on s'y attarde. L'enseignant-chercheur au Centre d'études et de recherche sur l'Afrique et la Méditerranée (CERAM) et de l'Ecole de gouvernance et d'économie de Rabat (EGE Rabat), Jean Zaganiaris, également écrivain, politologue et sociologue, décortique le sujet. Les Eco : Les derniers actes de violence avec lesquels des gens décident d'imposer leurs propres lois sont-ils les prémices d'un changement social au Maroc ? Jean Zaganiaris : Peut-être que ces changements sociaux existent depuis de nombreuses années et que nous ne les avions pas vus venir. L'évocation publique de ces violences gagnerait à être interrogée à partir des mutations de l'urbanisation ainsi que des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) survenues avec les années 2000. Plutôt que de chercher à prophétiser sur un hypothétique avenir plein de violences extrêmes, il vaut mieux se pencher sur le passé et être plus attentif à ces corps vulnérables, qui ont toujours existé. Les violences de Fès à l'égard d'un jeune homme efféminé, ou bien de la femme agressée à Tanger, ont des antécédents ignorés jusque-là par les médias mais que l'on peut retrouver par exemple dans la littérature. Quelle analyse faites-vous de ces comportements ? Il serait facile d'adopter la posture morale et de condamner ces actes avec la virulence qui s'impose. Toutefois, est-ce que les images reflètent exactement la réalité ? Il faut voir jusqu'à quel point les images rendent compte de la réalité sociale et quand est-ce qu'elles commencent à la déformer. Pour reprendre Pierre Bourdieu (un des éminents sociologues français du 20e siècle, ndlr), ce n'est qu'en étant informé sur les conditions sociales qui ont rendu possible ces formes de communication que l'on peut analyser socialement ces actes de violence. De plus, pourquoi est-ce dans ce contexte estival que nous voyons ces images ? Comment y faire face et comment éviter de pareils comportements ? La vue de ces comportements appelle à deux types de réaction. D'une part, elle invite à la paranoïa et au tout sécuritaire. D'autre part, elle suscite l'indifférence et le détournement du regard. On se refuse à regarder ce qui existe et lorsqu'on y accorde de l'attention, on veut une solution radicale pour en finir avec ce qui insupporte. Ces images dérangent car elles montrent la présence à la fois réelle et fantasmée de l'insoutenable ; ce qui arrive de manière exceptionnelle mais peut quand même arriver à n'importe qui. Je ne saurai vous dire ce qu'il faudrait faire pour éviter de pareils comportements dont il faut cerner quand même l'effectivité par-delà ce que les images nous font voir et nous font croire. Peut-être sensibiliser davantage à la sacralité de la vie humaine serait un point de départ.