Rokia Traoré : Musicienne et chanteuse malienne Elle est belle de l'intérieur comme de l'extérieur. Elle a une voix de velours,nla musique qui touche en elle et elle se sent le besoin de partager avec celui qui n'a pas eu la même chance qu'elle. Rokia Traoré a à son actif 6 albums et une reconnaissance en Europe et en Afrique. Depuis peu, elle a créé l'association Passerelle pour l'organisation et le développement de l'économie de la musique et des arts de la scène au Mali alors que ses chansons font fureur et que son dernier album : «Né So» fait l'unanimité. Elle se confie sur son amour pour l'Afrique, ses déceptions, ses coups de cœur à quelques heures d'un concert envoûtant au Bouregreg, avec toujours beaucoup de classe et de délicatesse. Les Inspirations ECO : Jouer en Afrique pour vous, au Maroc, est-ce différent ou est-ce que tousn les concerts sont pareils ? Rokia Traoré : Pendant longtemps pour moi, tous les concerts ont été les mêmes. Depuis 5 ans, peut-être un peu avant, quand je joue en Afrique, ce n'est plus le cas. C'est différent parce qu'il y a presque un côté militant à être présente ici. Ceci devient un challenge, je disais d'ailleurs il y a quelques semaines sur la scène que ma fondation a construite et que j'inaugurais, que c'était le plus beau spectacle de ma carrière. Et c'était vrai. Dieu sait que je ne suis ni extrémiste ni radicale dans la vie, mais cette déclaration je la faisais avec plaisir de manière radicale. Parce que j'en étais sûre. J'entendais des sons et des lumières, des conditions agréables et un beau public autour de moi dans un lieu au Mali. Tout est organisé pour que tous les groupes qui se produisent là-bas et se produiront là-bas, jouent dans des conditions professionnelles, de vraies conditions. Ce n'est pas parce qu'on est au Mali ou en Afrique que ce n'est pas grave, qu'il faut faire avec. C'est le déclic qui vous a poussé à créer l'association Passerelle pour pallier à cette injustice ? Oui, je me devais de faire quelque chose. En offrant des tickets gratuits pour le spectacle à mon voisinage, je me suis rendu compte que nous n'avions jamais vu de spectacles dans des conditions aux standards internationaux là-bas. On ne savait pas qu'on pouvait avoir un son comme sur un CD. Cela m'a fendu le cœur, l'Africain ne mérite pas ça. La culture africaine se vend, inspire, voyage dans le monde ! C'est une injustice totale que l'Africain ne puisse pas en profiter. Nous sommes constamment dans une urgence alimentaire, éducationnelle, sanitaire...n'importe quoi sauf culturelle ! Or, la culture a son importance. Bien sûr, il faut être en bonne santé, bien sûr, il ne faut pas avoir faim pour profiter de la culture mais elle construit l'humain, elle permet de nous donner les moyens de nous construire nous-mêmes et de nous donner un environnement philosophique sans laquelle la vie n'est pas possible. La culture nourrit l'esprit, elle donne une culture générale qui permet d'avoir du recul, un libre arbitre. Quand je pense à cela, je me dis que ce n'est pas juste que l'Africain n'ait pas cette possibilité a priori, qu'il soit si compliqué de faire profiter l'Africain de cette culture et que ce soit si compliqué pour les artistes de vivre de leur métier sans sortir de l'Afrique. Pour un continent aussi immense et aussi riche que l'Afrique, c'est incompréhensible. Et vous, vous faites la démarche contraire. Vous êtes installée en Europe, vous réussissez et vous décidez de rentrer en Afrique alors que beaucoup la quittent... Dans les années 90, j'avais fais le choix de rentrer au Mali et d'arrêter mes études pour commencer mon projet musical. Sans avoir aucune garanti, sans avoir de producteur, sans rien. Comme on le dit si bien, l'enfer c'est les autres, tous ces préjugés autour de moi, tous ces gens qui étaient contre ce retour en me disant que tout Africain rêve de faire ses études en Europe. Moi, j'en avais la possibilité et j'ai choisi de rentrer chez moi pour faire de la musique. Personne ne m'a comprise. Mais j'avais cette voix intérieure qui me disait de rentrer pour faire de la musique. J'en étais persuadé. Finalement, je l'ai fait. C'était difficile. Ce sentiment de trahison par rapport à mes parents parce que cela ne se faisait pas, d'arrêter ses études pour de la musique. J'ai fait mon bout de chemin, j'ai commencé à tourner plus en Europe que chez moi, à être plus reconnue en Europe que chez moi aussi. J'ai créé ma fondation qui nécessite que je sois présente au Mali et aujourd'hui, je vis au Mali. C'est une démarche dont je suis fière. Je me sens vivre là. Je sens que j'ai des choses à réaliser. C'est là que je suis inspirée même si je suis ravie d'être en Europe, j'aime le mélange culturel et j'aime vivre entre deux continents. Je me sens chargée d'une mission, on a besoin de moi ici. C'est mon rôle d'être humain de donner ce que j'ai pu recevoir...