Je savais que ça allait arriver. Parce que c'était déjà arrivé. Ce n'est pas la première fois que le public réagit de cette manière. Je préfère dire «le public» plutôt que «le peuple» parce que le public, lui, ne fait pas que regarder le spectacle, il y participe. Je l'avais prévu et annoncé le matin même du match et j'avais même parié avec deux copains – un rajaoui et un wydadi et, à la fin, hélas, c'est moi qui ai gagné: les deux équipes ont fait mach nul. Et voilà le résultat! Justement, contrairement à ce que certains continuent de croire, le public n'aime pas les matchs nuls. Il préfère, de loin les victoires – ou les défaites – nettes, sans bavure et sans «triture». Qu'importe le victorieux, l'essentiel c'est que les règles du jeu soient respectées et que ce soit bien le meilleur, c'est-à-dire celui qui a le mieux joué ce jour là, qui gagne. Vous savez, le sport, c'est un peu comme la démocratie: il faut que celui qui gagne l'élection, le mérite, bien sûr, mais, surtout, qu'il la gagne seul. Qu'il soit élu, et non, comme ça arrive souvent chez nous, qu'on le fasse élire. Un élu imposé est un élu nul. Un match avec un résultat commandé est un match nul. «Après la gifle de Laâyoune, la mascarade de Casablanca»! a titré à la Une, toute la presse, à l'exception, bien entendu, des canards aux ordres. Le public, lui, je le répète, déteste les matchs nuls qui sont ordonnés par des nuls sous prétexte d'éviter le chaos. Et, dans ces cas-là, il réagit mal. Très mal. Et le résultat est devant nos yeux: la ville à feu et à sang. Des milliers de manifestants en fureur, des centaines de voitures brûlées, des dizaines de cars et bus saccagés et il n y a plus une seule plaque de signalisation qui tienne debout. Les joueurs ont dû être évacués par l'armée en hélico. Quant à l'arbitre français, il a quitté le Maroc en urgence par avion spécial envoyé par Sarko. (Au fait, pourquoi faut-il à chaque fois un «arbitre» étranger pour me mettre de l'ordre dans nos affaires?). Pour moi, il n'y a pas l'ombre d'un doute: ce résultat nul était programmé. Je voyais d'ici le topo. Etant donné ce qui venait d'arriver presque la veille, il ne fallait surtout pas en rajouter. Les supporters ont beau être des fadas tarés dingues de leurs équipes respectives, ils n'en restent pas moins des citoyens comme vous et moi. Et, bien entendu, comme vous et moi, Ils ne devaient pas être très fiers de... cette triste affaire, vous voyez ce que je veux dire... Et quand on n'est pas très fiers, on n'est pas non plus, en général, très contents. Et quand on n'est pas très contents, il ne faut surtout pas nous contrarier, parce qu'alors là, ce n'est vraiment pas le moment! Alors, quelque part là-haut, on a dû penser qu'il n'y a rien de plus contrariant pour un fada taré dingue d'une équipe telle que le Wydad ou le Raja, que, justement, son équipe perde contre son ennemi juré. Et si jamais, à Dieu ne plaise, ça arrive, là, plus rien ne l'arrête. De fada taré dingue mais néanmoins gentil, il devient fou furieux vandale incontrôlable. Que faire alors? «On» décide le match nul. Résultat: la cata! Tout est cassé, tout est en flammes, tout le monde crie, tout le monde pleure, les sirènes des ambulances et des pompiers hurlent dans la nuit. Et elles hurlent tellement que je me réveille en sursaut. Je suis tout en sueur. Ouf ! Ce n'était qu'un cauchemar. Je n'aurais pas dû lire les journaux. Décidément, je vais finir par croire, moi aussi, que c'est notre presse qui est responsable de tout.