Entre les grèves, les histoires de temps partiel aménagé et l'interdiction pour les médecins du public d'exercer dans le privé, c'est un vrai désordre qui règne dans le secteur de la santé et plus particulièrement chez les blouses blanches. Une situation soutenue par le non respect de la déontologie et les dépassements éthiques constatés chez certains hôpitaux et cliniques privées. Le secteur de la santé et l'organisation même de la profession devra subir un sérieux toilettage. Au sein de la profession, tous ces maux s'expliquent par l'absence de vraies instances ordinales. Toutes les attentes sont dirigées vers le futur Ordre des médecins qui peine encore à voir le jour. «Si nous disposons d'une instance forte, nous pourrons rappeler les médecins à l'ordre et faire respecter la loi et la déontologie», explique Mohamed Naciri Bennani, secrétaire général du syndicat national des médecins du secteur libéral. Or, il se trouve que ce projet bloque toujours après près d'une décennie de négociations. Le projet étant actuellement à la 2e Chambre, les médecins craignent qu'il ne soit renvoyé à la case départ. La stérilité des instances ordinales actuelles bloque en tout cas les tentatives de réforme du secteur et laisse libre cours aux dépassements éthiques et au charlatanisme, sans oublier la non inclusion des médecins dans les grands chantiers du secteur de la santé au Maroc. Depuis plus de 12 ans, ce sont les mêmes instances qui dirigent l'Ordre. Des instances aujourd'hui fatiguées et inactives. Aucune élection n'a été organisée depuis 2001. De l'avis du collège syndical des médecins spécialistes privés, cette situation a plongé la profession dans une vraie léthargie qui «semble interminable». «Ce vide juridique laisse le champ libre à plusieurs anomalies et ralentit plusieurs chantiers aujourd'hui urgents», affirme Naciri Bennani. À commencer par l'absence de système de couverture médicale et de retraite. À l'instar de nombreuses professions libérales, les médecins (tant publics que privés) ne disposent pas de couverture médicale. La seule alternative qui leur reste est le recours aux tarifs préférentiels des confrères ou à l'auto-assurance, mais les restrictions imposées par les compagnies d'assurance sont souvent dissuasives. L'autre chantier est celui de l'élaboration d'un Code de déontologie prévu par le nouveau texte sur l'Ordre des médecins. Le projet de loi affirme que l'élaboration de ce Code déontologique sera confiée à la nouvelle instance. Celui-ci viendra donc remplacer le très ancien Code de 1953. En outre, la paralysie de l'Ordre fait qu'il est aujourd'hui absent de certains chantiers, comme celui de la réforme de la loi 10-94 sur l'exercice de la profession de médecin. La mise en place d'un Ordre permettrait aussi de trouver une issue favorable au projet d'ouverture du capital des cliniques privées aux investisseurs autres que les médecins. La réforme sur la libéralisation du capital des cliniques privées, enclenchée fin 2010 par l'ex-ministre de la Santé, Yasmina Baddou, n'a pas connu de suite favorable depuis son annonce. Le lobby des médecins a été manifestement puissant, sans oublier les problèmes d'indépendance vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique et de fraude fiscale où les médecins et dentistes ont particulièrement «performé». «Les professions libérales, notamment les médecins se contentent souvent de payer la cotisation minimale sur un chiffre d'affaires sous-évalué», explique un contrôleur fiscal. Elections démocratiques La création d'un Ordre permettra-t-il d'accélérer ces chantiers ? Rien n'est moins sûr. Toujours est-il que la nouvelle composition de l'Ordre et ses nouvelles fonctions se veulent plus démocratiques et transparentes. Ainsi, tous les membres du Conseil de l'Ordre et des instances régionales doivent être élus, y compris le président du Conseil. Jusqu'ici, le président était nommé par le roi sur la base des propositions de la profession. «Ce qui lui a accordé jusqu'ici une certaine immunité», nous explique un médecin. Le nombre des membres du Conseil était de 22, élus équitablement par les médecins du privé et du public. Ce nombre est revu à la hausse, car il est dorénavant question de 27 membres, dont trois médecins des Forces armées royales, 12 membres émanant du secteur privé, 9 du public et 3 membres des CHU. Ces membres seront élus pour une durée de 4 ans renouvelables une seule fois et pourront choisir le président mais également le destituer en cas de faute grave (article 20). Cette possibilité est toutefois soumise à la réunion des deux tiers des voix. Au sein des Ordres régionaux, le nombre de membres élus sera proportionnel au nombre de médecins exerçant dans la région. Le projet de loi prévoit également la mise en place d'une assemblée générale de l'Ordre des médecins se réunissant une fois par an et regroupant tous les membres des Conseils national et régionaux. L'assemblée représentera une force de proposition sur les problématiques de la profession et du secteur. C'est cette même assemblée qui s'occupera annuellement du suivi «moral et financier» de la situation du Conseil national et des Conseils régionaux. L'article 19 accorde à ce titre au président de chaque Conseil le soin de préciser dans son rapport les dysfonctionnements rencontrés au niveau de l'organisation et du fonctionnement du Conseil qu'il préside. Ce qui inclurait également les plaintes déposées par les citoyens. «Des mesures disciplinaires seront prononcées dans le cas de dépassements déontologiques par le ministère public, dans les 60 jours suivant le dépôt d'une plainte», affirme la loi. Les peines disciplinaires encourues vont du simple avertissement à une radiation du tableau de l'Ordre, en passant par une suspension pour une durée déterminée. La formation des médecins sera également suivie de près par l'Ordre des médecins qui donnera son avis concernant le contenu des cours académiques. Il participera en outre à l'élaboration et à l'organisation des formations continues des médecins. Un programme annuel devra d'ailleurs être conçu et validé par l'assemblée générale. Ce qui devrait réduire un tant soit peu le nombre de formations et de séminaires organisés et financés par les industriels de la pharmacie. «Ces rendez-vous ne sont le plus souvent que des campagnes de publicité organisées en vue de gagner le soutien des médecins et de les encourager à la commercialisation de certains de leur produits», explique un médecin sous couvert d'anonymat. Qui dit transparence, dit également contrôle de la comptabilité des instances ordinales, notamment du Conseil de l'Ordre qui devra subir un contrôle annuel mené par un expert-comptable. Ce qui devrait mettre fin à l'opacité des bilans comptables et de la situation financière des Ordres.