Le festival national du film de Tanger approche. Devenu annuel depuis l'année dernière, cet évènement d'envergure internationale se tiendra cette fois-ci du 23 au 30 janvier. La ville connue depuis toujours comme un carrefour de l'intelligentsia, a vu défiler des figures du monde de l'art, tous adossés à une réputation artistique honorable : Delacroix et Matisse y ont laissé leurs couleurs, tout comme Paul Bowles, Mohamed Choukri qu'il avait rencontré à Tanger, ont retracé, du bout de leurs plumes, le destin des bas-fonds de la ville. Tanger, perle des artistes Tout le monde passe par la ville-égérie et s'y attarde. Tous les prétextes d'une vie dynamique y résident et font de la ville blanche le sujet préféré de toutes les créations artistiques. Des atouts, elle en déborde et ses infrastructures tutoient gracieusement un mouvement culturel notable, à l'exemple de la cinémathèque de Tanger. Inaugurée en 1948 après une série de rénovations, elle est aujourd'hui dotée d'un équipement moderne et d'une capacité de 450 places pour le grand plaisir des spectateurs. Pour cette rentrée 2010, la cinémathèque programme une série de films documentaires algériens. Ces derniers forment un kaléidoscope d'engagements où le destin et l'émancipation de la femme côtoient l'errance et le chômage des jeunes algériens. L'Algérie est évoquée en dehors du cadre sanglant. En fait, les regards posés par les réalisateurs ont la spécificité de couver ce que l'objectif de la caméra leur a décelé un premier temps. Il a filmé des jeunes errants ou chômeurs, donné la parole à des lycéennes pour raconter leur vie, leurs chimères. Le temps passe et le contexte évolue au sens très strict du terme, mais les réalisateurs reviennent à leur chantier et filment à nouveau ces mêmes personnages. Quand ils sont encore en vie. Parce qu'il est question de suivre le pas d'un pays qui défraie continuellement la chronique. Et a fortiori, parce que les images ont souvent cette force de changer le monde. L'Algérie se rassure par ses réalisateurs Chaque réalisateur, algérien ou espagnol, forge de sa touche émotionnelle le portrait d'une Algérie, loin de l'image véhiculée par la guerre des médias. Une Algérie contemporaine si proche, mais dont la voix reste lointaine. Avec «Algériennes, 30 ans après», Ahmed Lallem retrouve, après une première rencontre, des jeunes lycéennes qu'il avait rencontrées à la fin des années 60 pour réaliser «Elles». Un film documentaire où elles confessaient leurs espoirs pour un avenir meilleur. Leur affrontement face à l'environnement familial traditionnel est un quotidien que des femmes, toutes aussi belles qu'intelligentes, domptent activement. Il en ressort une réalité de déceptions, de combats, version féminine. Avec en toile de fond les trente dernières années de l'histoire algérienne, les 54 minutes d'Ahmed Lallem sont un panaché de générations aux vécus semblables. Le réalisateur, décédé en octobre dernier en France, compte à son actif une trentaine de films documentaires, après un travail de reportage en temps de guerre dans les zones frontalières de l'Algérie. Les femmes n'étant pas les seules à faire preuve de courage, Djamila Sahraoui captive à son tour avec «L'Algérie, la vie quand même». Un documentaire de 46 minutes où elle suit de très près les vadrouilles d'un couple d'amis de 27 ans, paumés dans une petite ville de Kabylie, épargnée par les fusils, mais touchée de plein fouet par la crise. Les deux jeunes dans le documentaire parlent au nom de toute une jeunesse bafouée et démystifiée par une réalité qui ne laisse guère place au rêve. Seuls refuges accessibles : l'humour et l'amitié, pour un brin d'épanouissement. Jean-Pierre Lledo, cinéaste algéro-espagnol, est un réalisateur dont les documentaires suscitent des réactions très mitigées. «Algérie, histoires à ne pas dire» est le dernier long métrage documentaire de sa trilogie d'exil. En substance, ce sont trois documentaires qu'il a réalisés entre 1993 et 2008. Une période où l'intellectuel s'est trouvé contraint comme d'autres artistes algériens de quitter son pays pour se réfugier en France. Troisième volet de la trilogie, le film entièrement tourné en Algérie a pour thème essentiel l'Absent, «celui qui n'est plus là et dont la mémoire tend même à disparaître». L'absence d'une femme qui a risqué sa vie pour l'indépendance algérienne et qui est déçue aujourd'hui par l'islamisation du pays, celle d'un chef de maquis victime d'un règlement de comptes entre indépendantistes et dont la mort reste obscure. Des films... une histoire Tout un pan de l'histoire contemporaine de l'Algérie transparaît en filigrane à travers l'objectif de ces documentaristes. Alors que ces réalisateurs restent peu connus, leurs reportages ne manquent pas de pertinence. C'est leur manière de militer par l'image. C'est surtout hors frontières que ces réalisations se font l'écho d'un pays qui regorge d'intellectuels et d'autres artistes, restés sans voix dans leur pays. Au Maroc, à Montréal ou encore à Tokyo, les documentaires algériens sont sélectionnés dans certains festivals, couronnés dans d'autres. En décembre 2009, le festival du cinéma documentaire algérien a eu lieu à Tokyo. Deux jours durant, l'Institut de cultures asiatiques, qui a abrité le cinéma documentariste de Malek Bensmaïl et Kaïna Cinéma, a mis en exergue un genre cinématographique très prisé dans un pays encore couvert du voile opaque dû à un traumatisme historique.