Le Fleuve Détourné » publié chez Robert Laffont en 1982, fut salué immédiatement. Déjà, en 1978, Mimouni publiait un premier roman « Le Printemps n'en sera que plus beau », qui était un texte écrit au sortir de l'adolescence et dont le manuscrit « dormait » depuis de nombreuses années dans les tiroirs de la principale maison d'édition algérienne. Il faut citer au moins ce passage du «Printemps n'en sera que plus beau» où l'un des protagonistes proclame : «La littérature algérienne d'expression française n'est qu'un immense canular. C'est une hérésie, un non-sens, songe à l'autre langue, millénaire, née dans l'immensité d'un autre désert dont elle devait prendre la force et la majesté. C'est la langue des grands espaces et elle ne pouvait que s'épanouir dans un pays comme le nôtre.» En février 1983, lors d'une réunion à la Maison des Cultures du monde à Paris d' « écrivains non français ayant choisi d'écrire en français », le même Rachid Mimouni : « Il reste que pour la plupart, on écrit en français comme on franchit le Rubicon (…) Plus de vingt ans après les indépendances, cette curieuse littérature s'obstine à survivre. On peut même y déceler comme un regain de vigueur. » Mimouni ajoutait : « Ce n'est pas tant la langue arabe qui est en cause, que l'attitude timorée de la plupart des écrivains qui subissent « un état de langue » sclérosé (selon l'expression d'Abdellatif Laâbi) (…) Il faut ajouter que la pratique d'un arabe recherché est aussi éloignée du parler populaire que l'est le français, sans oublier les régions dont la langue maternelle n'est pas l'arabe, dans nos pays à majorité encore pratiquement analphabète, toute écriture est un exil. » Rachid Mimouni notait qu' « en définitive, la littérature maghrébine de langue française est une littérature de fait accompli. » On ne sache pas que ce fait accompli ait empêché de s'accomplir de bons auteurs maghrébins de langue arabe ! Voyons cependant comment s'épanouit dans « Le Fleuve détourné » le talent incisif de cet écrivain qui parle, comme l'a bien vu le critique André Arkoun (dans la revue Sou'al), de « ce déracinement d'un peuple qui permet le triomphe des glaciations technocratiques et de leur compendium mystique. » La langue de Rachid Mimouni n'est pas la « langue de bois » avec ou sans ciselures. Si le romancier algérien récemment disparu, Tahar Ouettar, écrivain de langue arabe, dont les éditions Temps Actuels ont publié en 1983 l'un des romans en traduction française sous le titre de « L'As », promettait par ailleurs un livre qui sera « le beau tableau de mon pays révolutionnaire…, le pays qui s'industrialise, se cultive et se tient debout aux côtés de tous les peuples en lutte dans le monde, aux côtés de tous les partisans de la liberté, de la paix et de la justice », « Le fleuve détourné » est plutôt le roman d'une injustice dénoncée sans fard. C'est le cahier de retour au pays de sa mémoire d'un homme tenu pour mort, un martyr de la lutte pour l'indépendance qui entreprend un parcours kafkaïen pour recouvrer son nom de vivant. «Le fleuve détourné» n'est pas un roman fantastique où l'hallucination serait le produit sophistiqué d'une poétique de l'effroi et de la hantise, nourrie de fantasmes échenillés dans l'inconscient d'un rêveur paranoïaque : c'est un cri. Cependant, Mimouni a de l'humour, et sa visite du monde réel emprunte facétieusement les voies de la parabole. La première phrase du « Fleuve détourné » ne dit-elle pas : « L'administration prétend que nos spermatozoïdes sont subversifs. » Les intentions de l'auteur sont clairement désignées par une phrase de Ben Badis, citée en épigraphe : « Ce que nous voulons, c'est réveiller nos compatriotes de leur sommeil, leur apprendre à se méfier, à revendiquer leur part de vie en ce monde, afin que les suborneurs ne puissent plus exploiter l'ignorance des masses. » Justement en épigraphe de son beau récit « Il faut abattre la lune », (réédité sous le titre de « La Nuit algérienne » chez Nil (2007), Jean-Paul Mari citait Mahmoud Darwich : « Mon enfance grandit en moi. Jour après jour. » « Il faut abattre la lune ! Sinon ils vont nous voir », disait une femme à un milicien armé, sur le quai, au moment d'embarquer. Et Jean-Paul Mari composait tout un récit, souvent déchirant, pour dire que l'Algérie natale ne l'avait jamais quitté. Il racontait finalement sa rencontre avec Rachid Mimouni, à Tanger, « la seule ville du passé où les fantômes sont vivants. Il y a désormais celui de Rachid Mimouni, mort peu après, non pas de trop d'alcool comme l'ont affirmé ses médecins, mais bien de manque. Mort de l'Algérie. »