Plus de vingt ans après sa disparition, Bette Davis demeure cette figure absolue de l'actrice, un monstre charismatique qui a dominé l'âge d'or hollywoodien, reine de longévité à l'écran et qui savait mieux que quiconque, d'un seul regard, provoquer une tempête ou au contraire, la calmer. Kim Carnes en a fait une chanson (Bette Davis' eyes) qui est devenu un classique pop rock des années 80 et l'actrice incarne encore aujourd'hui cette détermination hors normes et ce talent fou, qui en ont fait l'une des icônes les plus respectées du cinéma. Tour à tour cinglante, forte et fragile à la fois, amoureuse, la clope au bec, sortant ses griffes, Bette Davis a tout incarné, tout dit, tout en gardant un mystère intact, de celui qui fait l'étoffe des grands, des très grands même. Joseph Mankiewicz ne s'y est pas trompé, lorsqu'à la veille des années 50, il lui confie le rôle qui allait la remettre en selle, après des années de déboires célèbres et de batailles tumultueuses contre les studios. Celle qui, malgré un physique loin d'être avantageux, avait réussi à atteindre les sommets, allait incarner Margo Channing, une star vieillissante de Broadway, assistant à l'ascension de sa jeune protégée, Eve, du film éponyme de Mankiewicz. C'est donc Tout sur Eve que nous invite à découvrir le film. Construit comme un long flashback de plusieurs points de vues, le film débute par une cérémonie de remise de prix prestigieuse qui va consacrer la jeune actrice. Dans la salle, ceux qui ont été les artisans, souvent malgré eux, de cette ascension vers la gloire se souviennent comment cette jeune admiratrice de Margo Channing va tisser sa toile jusqu'à la supplanter. Venue à New York pour y tenter sa chance, Eve Harrington est prête à tout et met au point un stratagème pour rencontrer son idole, Margo Channing, la plus grande star de Broadway. Elle s'invente un passé misérable et parvient à émouvoir celle-ci, dont elle devient l'assistante dévouée. Margo est entourée d'une cour brillante, personnages propices à servir l'ambition implacable d'Eve : le dramaturge Lloyd Richards et son épouse effacée Karen, le critique de théâtre influent Addison DeWitt, le metteur en scène Bill Sampson, éternel fiancé de Margo, etc. A force d'intrigues et de persévérance, Eve devient la doublure de la star capricieuse, qui lasse son entourage et qu'elle parvient à remplacer un soir, à la faveur d'un coup monté. Dès lors, plus rien n'arrête la jeune actrice, qui arrive à ses fins : devenir la nouvelle Margo et régner ainsi sur le monde du théâtre new-yorkais. A sa sortie, le film est un triomphe et récolte une moisson d'oscars et de prix au festival de Cannes (dont celui de la meilleure interprète féminine pour Bette Davis). Celle-ci rayonne et son personnage, bien plus que celui d'Eve, devient emblématique de ce duel entre femmes, aussi ambitieuse l'une que l'autre, bien qu'à des âges différents. En réalisant Eve dans un univers qu'il maîtrise parfaitement, Mankiewicz, l'auteur d'autres chefs d'œuvres comme Le fantôme de Madame Muir ou La comtesse aux pieds nus, réussit à livrer une réflexion critique sur la société américaine : l'arrivisme tenace, l'angoisse du vieillissement, les dérives de la paranoïa, sont autant de thématiques incarnées par des personnages à haute teneur universelle. On a tous connu au moins une Eve dans notre vie… A noter que le film offrait l'un de ses premiers petits rôles à Marylin Monroe, avec ce commentaire prophétique que reçoit son personnage : « je vois ta carrière monter tel un soleil levant ».