Rita Hayworth blonde dans un film noir de haute teneur. Avec «La dame de Shanghai», Orson Welles signe en 1947 l'un des classiques du genre, l'un de ses meilleurs films et l'une des scènes les plus fameuses de l'histoire du cinéma. Dans les années 40, grâce au succès de «Gilda», Rita Hayworth est LA star de la Columbia. Sa longue et flamboyante chevelure rousse est, à elle seule, tout un symbole hollywoodien. Elle est célèbre, riche, adorée par le public et elle est amoureuse d'Orson Welles, son mari et jeune réalisateur surdoué de deux films cultes Citizen Kane et La splendeur des Amberson, artiste très respecté et très rebelle, en mal de succès commercial. La légende voudrait qu'Orson Welles l'ait transformée en blonde vénéneuse pour briser sa carrière. Le couple était en train de se séparer et Rita Hayworth accepta de tourner le film en guise de cadeau de divorce. En découvrant le résultat, le producteur Harry Cohn se serait exclamé «ce type est un fou !» et aurait gardé le film au placard pendant deux ans, de peur de voir décliner l'aura de sa protégée. A sa sortie et malgré les différentes versions montées par le producteur, qui dégagea Welles pour mieux prendre le contrôle sur le montage final, le film fut un échec retentissant et il fallut plusieurs années avant qu'une vraie reconnaissance ne lui soit acquise. Y compris de la part de son actrice principale, qui déclara à la fin de sa vie, que c'était l'un de ses meilleurs films. «La dame de Shanghai» est l'adaptation sur grand écran d'un roman mineur, qui suit les aventures d'un marin pris au piège par une femme fatale. Welles garde alors peu d'éléments de l'histoire originelle. Michael O'Hara, un aventurier d'origine irlandaise qui a bourlingué dans les contrées les plus exotiques, sauve d'une agression Elsa Bannister, une belle et mystérieuse jeune femme la nuit dans un parc. Peu de temps après, il est engagé par le riche mari d'Elsa, l'avocat Arthur Bannister pour une croisière à bord de leur yacht, vers les Caraïbes. Michael est sous le charme d'Elsa. Bientôt, ils entament une liaison et sont découverts par George Crisby, l'associé du mari. Celui-ci convainc Michael de le «tuer» pour 5000 dollars, l'enjeu étant de signer une lettre d'aveu d'assassinat et de permettre à Crisby d'empocher une assurance et de s'envoler vers une île loin de tout. Mais le plan échoue, Crisby meurt réellement, Michael est emprisonné et Bannister devient son avocat… Finalement, aucun personnage ne sort indemne de tout cela. Les héros sont aussi sombres que les méchants dans cette histoire qui dénote avec le manichéisme du cinéma hollywoodien de l'époque. Ce qui explique probablement aussi son échec au moment de sa sortie. A travers «La dame de Shanghai», Welles a certainement voulu dépeindre une Amérique de requins, dont les seules préoccupations sont l'argent, l'argent et encore l'argent. D'une beauté plastique à couper le souffle, le film est d'une inventivité folle et demeure encore aujourd'hui d'une grande modernité grâce notamment à un rythme rapide et fluide. La scène finale de la galerie des miroirs, où les personnages se tirent dessus et où on a l'impression qu'ils tirent sur eux-mêmes est à la fois une métaphore du film et une magnifique leçon de cinéma. Lorsque le personnage incarné par Welles s'en échappe enfin, on a le sentiment familier de sortir d'un cauchemar très étrange et très beau en même temps.