A l'occasion du Festival « Visa pour l'image » de Perpignan, Le Soir échos vous propose de découvrir une photo par jour, avec l'éclairage de son auteur. Dernière édition avec la photographe Martina Bacigalupo, pour son travail sur le quotidien d'une femme du Nord de l'Ouganda. Présentez-nous la femme que vous avez choisie de photographier pour raconter le quotidien du peuple du Nord de l'Ouganda. Qui est Filda Adoch ? Filda Adoch est une femme de 53 ans qui vit dans un petit village au nord de l'Ouganda, dans le district du Gulu. C'est une femme, comme tant d'autres, victimes depuis plus de vingt ans de la guerre entre le gouvernement et la LRA (l'Armée de résistance du Seigneur, ndlr), dont le chef est Joseph Kony. La population, prise en étau, a beaucoup souffert de violences commises par les deux camps. L'histoire de Filda est symbolique. Son premier mari a été tué par l'armée, qui pensait arbitrairement qu'il était un rebelle, puis son deuxième mari a été tué par les rebelles. Elle a également perdu un enfant, tombé dans une embuscade en allant à l'école et elle-même a perdu une jambe sur une mine anti-personnelle, laissée par la LRA. Dans son village, elle s'occupe de 18 personnes en tout. Comment l'avez-vous rencontrée ? En mai 2010, je suis partie avec Human Rights Watch pour faire un rapport sur les femmes avec un handicap dans le nord de l'Ouganda. Ces femmes ont subi des amputations ou des violences de la part de la LRA. Etant habituée à travailler sur le long terme, j'ai demandé à passer plus de temps avec une femme. C'est là que j'ai rencontré Filda. Je me souviens, elle était vêtue d'une robe à fleurs pour être élégante le jour de sa rencontre avec HRW. J'ai senti quelque chose de particulier, alors je lui ai demandé de passer une journée avec elle. Qu'est-ce qui vous a décidée à faire d'elle la protagoniste de votre travail ? Lorsque je suis arrivée à son village à l'aube, j'ai trouvé une femme travaillant torse nu dans son champ, utilisant sa béquille comme un outil de travail, le regard fort et combattif. Cela m'a beaucoup touchée, c'était une vraie guerrière. Quand je lui ai demandé de revenir la voir, elle m'a dit :«Reviens me voir puis pars raconter mon histoire». J'ai passé trois semaines avec elle et sa famille. Ce projet m'a permis de raconter le passé et ses séquelles mais aussi de raconter le quotidien de la culture acholi, avec ses traditions, différentes de celles bantoues. Par exemple, elle m'a raconté que ses enfants avaient grandi dans les camps de déplacés où ils ne pouvaient pas faire de feu, un élément pourtant essentiel de la culture acholi. Grandir sans le feu, c'était déraciner ses enfants de leur propre culture, car c'est là que se racontent les histoires de la communauté. La guerre fait rage depuis plus de 20 ans en Ouganda, sans être très médiatisée. Qu'est-ce qui explique l'oubli de cette guerre ? C'est une bonne question, mais je n'ai pas de réponse. Il est vrai que ce n'est pas la seule guerre oubliée, sûrement pour des éléments politiques. Chaque fois, certaines guerres ont plus de valeur que d'autres, comme si on pouvait faire un classement de la douleur. C'est aberrant ! Sur quel projet travaillez-vous actuellement ? Je voudrais poursuivre un travail sur la mortalité périnatale au Burundi. A cause de la maladie de la fistule vésico-vaginale, trop de femmes meurent lors de l'accouchement, principalement en Afrique subsaharienne. Le droit à la santé pour l'accouchement des femmes est un droit essentiel mais n'a pas reçu l'attention qu'il fallait. Au Congo, une femme peut marcher pendant deux jours pour arriver à un centre de santé, qui n'a pas toujours les moyens de l'aider. Par la photographie, je voudrais attirer l'attention sur cette problématique.