Un peu plus de 300 jours nous séparent de la première manifestation du Mouvement du 20 Février 2011. Après bien des soubresauts, dont le dernier est le retrait d'Al Adl wal Ihssan, le mouvement traverse aujourd'hui sa plus grave crise depuis sa naissance, et qui en menace jusqu'à l'existence. « C'est fini pour eux, le cheikh Yassine a trouvé un accord avec ses amis du PJD. Je les vois mal continuer à manifester », c'est en gros, le sentiment de bien des Marocains après le retrait de la confrérie de Abdessalam Yassine des rangs du mouvement du 20 Février. Une position que beaucoup justifient par le nombre important des membres de la Jamaâ, qui manifestaient au côté des autres membres du M20F. « Nous formions 60 à 70% des effectifs, jamais le 20 Février n'aurait pu enregistrer autant de réussites sans notre apport logistique », nous confie Rachid, membre de la Jamaâ. Il est vrai que l'on est en droit de se poser des questions sur l'avenir du M20F, d'autant plus qu'il sera amputé d'une bonne partie de ses effectifs. Ceux qui sont restés fidèles au mouvement, prétendent que c'est une chance de voir les islamistes le quitter. À leurs yeux, le départ d'Al Adl leur laisse la voie libre. Ils pourront mettre en adéquation leurs revendications avec leurs référentiels modernistes et, osons le dire, laïcs, maintenant que les islamistes ont libéré le terrain, au sens propre comme au figuré. Avenir incertain Nul doute, aussi, que le mouvement a souffert de la nette victoire du PJD. Un regain d'espoir, relatif certes, a redonner confiance à une partie des Marocains, dont ceux qui se sont déplacés aux urnes. Le mouvement est alors apparu, pour bon nombre d'entre eux comme non respectueux du choix des électeurs. Toutes ces données : la victoire du PJD, les divisions au sein du M20F, le retrait d'Al Adl, ont plongé le mouvement dans sa plus grave crise depuis sa naissance, le menaçant même de disparition, comme le prédisent certains observateurs. Les jeunes du 20 Février se disent libérés du poids des islamistes de la Jamaâ, puisqu'ils peuvent désormais clamer haut et fort leurs idées laïques et modernistes. Un avenir incertain attend les jeunes du mouvement du 20 Février. Que vont-ils faire maintenant qu'ils sont diminués numériquement ? Se dirige-t-on vers un éparpillement des manifestations, les Adlistes d'un côté et les 20 févriéistes de l'autre ? Nul ne le sait. Musta pha Meftah prétend lui, que « le mouvement a complètement repensé sa stratégie », sans pour autant définir cette stratégie, et c'est bien là où réside le problème, de l'aveu même des 20févriétistes. « On sait ce qu'on ne veut pas mais on ne sait pas ce qu'on veut », se plaisent-ils à dire. Le mouvement semble avoir épuisé toutes ses cartouches. Nombre d'observateurs reprochent au mouvement de rester cloitré dans une force d'opposition. Or selon eux, si le mouvement veut survivre, il faudrait bien qu'il opère un virage à 180°, et devenir une force de proposition. 3 QUESTIONS À … Fathallah Arsalane, porte-parole d'Al Adl wal Ihssan L'une de vos principales explications concernant votre retrait du M20F est votre désaccord sur le plafond imposé par le mouvement est qui est la monarchie parlementaire. Quel est votre plafond à vous ? Ecoutez, ceci représente un des nombreux désaccords que nous avons eus avec le M20F. Il l'y a pas que le plafond. De toute façon nous n'avons pas de plafond précis, notre principale revendication est la chute de la corruption et de la tyrannie sous toutes leurs formes. Je sais où vous voulez en venir, mais je vais vous dire que nous ne voulons pas spécialement la chute du régime. Nous pensons, par contre, qu'il y a un ensemble de pratiques qu'utilise le régime, et que nous devons combattre. Il nous faut une Constitution provenant de la seule volonté du peuple. Beaucoup prétendent que vous avez, directement ou indirectement, offert un cadeau au « makhzen » en vous retirant du Mouvement du 20 Février ? Vous pouvez dire à ces mêmes personnes que nous avons aussi offert ce cadeau à Benkirane, aux états-Unis, et pourquoi pas Israël tant qu'on y est. Nous n'avons offert de cadeaux à personnes. Al Adl wal Ihssan existait avant le M20F et existera après. Nous n'avons jamais cessé de militer contre l'appareil répressif. Ce n'est pas demain que nous allons arrêter. N'avez-vous pas pris la décision du retrait du M20F après avoir vu que ce dernier perdait de son influence ? Ce sont les gauchistes qui prétendent cela. La vérité est que nous pensons que le M20F est arrivé à la limite de ce qu'il pouvait espérer. Nous nous sommes retiré pour dire aux partis politiques que s'ils veulent saisir leur chance, c'est maintenant. Nous voulons convaincre les partis politiques de l'importance du moment, ces derniers doivent choisir leurs camps, avant que ce ne soit trop tard. Vers une « rue » divisée Les jeunes du 20 Février se disent libérés du poids des islamistes de la Jamaâ, puisqu'ils peuvent désormais clamer haut et fort leurs idées laïques et modernistes. Problème : les idées laïques et modernistes ne font plus recettes auprès des Marocains. Et l'on voit mal comment les idées de laïcité, de liberté de conscience, de séparation du religieux et du politique pourront convaincre le citoyen lambda d'épouser leur cause. Ce sont ces mêmes modernistes qui ont « tourné le dos au peuple marocain », avait déclaré le politologue Mohammed Tozy dans la presse, un fossé énorme sépare les modernistes, devenus trop élitistes selon certains observateurs, du peuple marocain, qui demeure très attaché à la religion et foncièrement conservateur. Ce champ libre a bien évidemment profité aux courants islamistes, et l'on pourrait même se demander si la Jamaâ ne mobiliserait pas plus que le 20 Février si elle venait à décider d'organiser une manifestation. Face à l'opposition « modernistes/conservateurs » à laquelle fait désormais face la rue marocaine, l'on se trouve dans une configuration similaire à celle du nouveau parlement marocain. Cette désunion de la rue finira-t-elle par lasser les Marocains ? Une chose est sûre, jamais l'avenir de la contestation socio-politique au Maroc n'a été aussi incertain. MICRO-TROTTOIR Pensez-vous que le 20 Février est mort après le retrait d'Al Adl wal Ihssan ? Saad Saqquat, 23 ans, étudiant La sortie d'Al Adl Wal Ihssan signifie, pour moi, la mort du mouvement. Déjà, je n'ai que rarement été d'accord avec le Mouvement du 20 Février, je pense qu'ils ne représentent pas le peuple, ce n'est qu'une partie du peuple. Ensuite, Al Adl ne représente rien pour moi, je ne les ai jamais soutenus. Rajaa, 21 ans, étudiante Non je ne pense pas que cela signifie la mort du M20F. Si 50% du M20F étaient constitués de adlistes, ceux-là mêmes qui ont choisit d'arrêter leur collaboration avec le M20F, alors 50% restants continueront à manifester. Si la corruption n'est pas combattue, et la transparence n'est pas érigée en priorité, les jeunes du M20F devront continuer à militer. Ahmed, 30 ans, commercial Non, je ne pense que les jeunes du Mouvement du 20 février vont s'arrêter de manifester. Le régime ne fait rien pour lutter contre la corruption et tous les maux du pays; les jeunes ne doivent pas s'arrêter de militer, jusqu'à ce que certaines choses changent. Mieux vaut peu que rien du tout. Brahim, 51 ans, serveur Je pense que le Mouvement du 20 Février souffrira de la sortie de la Jamaa. De même, Al Adl wal Ihssan n'a plus autant d'influence qu'avant. La victoire du PJD a certainement joué dans cette décision. A mon avis, beaucoup de militants d'Al Adl finiront par rejoindre les rangs du PJD. Khadija, 24 ans, comptable Je ne pense pas que le M20F va finir par disparaître, tout simplement par ce que celui-ci est constitué d'autres courants, Al Adl wal Ihssan ne représente pas le 20 Février. Il y a beaucoup de membres indépendants qui ne cesseront, à coup sur, de manifester que lorsque toutes leurs revendications seront satisfaites.