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Le Morisque par Hassan Aourid | Le Soir-echos
Publié dans Le Soir Echos le 09 - 08 - 2012

Hassan Aourid, plus connu comme personnage public que comme auteur, nous livre une version romancée de l'histoire des Morisques, musulmans d'Espagne forcés à la conversion du temps de l'Inquisition. Chihab-Eddine, le personnage dont l'histoire est racontée a réellement existé, mais l'auteur l'a rendu plus humain en imaginant, tout en restant très fidèle à l'Histoire, les aspects qui font la différence entre un repère historique et le parcours d'une vie avec tous ces petits détails d'émotions, de rêves et de questionnements qui font l'homme. Le Soir Echos vous propose de découvrir ce roman tout au long de l'été en épisodes quotidiens, pour (re)découvrir cette période de la grandeur de l'Islam et vous évader en compagnie de personnages au verbe haut et à la pensée profonde.Bien que l'histoire se passe au XVIe siècle, les ressorts philosophiques qui l'animent, transposés dans un contexte contemporain restent d'une actualité vivace. Un livre qui grâce à l'érudition de Hassan Aourid, écrit dans un style agréable, ne manquera pas de captiver l'attention des lecteurs. épisode 11
Statue d'Ibn Khaldoun à Tunis.
Un jour, je me trouvais dans ma bniqa, sorte de secrétaire sans pupitre qui fait office de bureau, avec banquette, d'où probablement l'origine du mot bniqa. Je venais de traduire une lettre en castillan adressée au Sultan par le Roi espagnol Filippe II. Comme il est d'usage, je suis allé chez le calligraphe qui devait la recopier et y apposer le sigle de la dynastie : barakat Mohammed (la bénédiction de Mohammed) et les rosaces propres à al-Mansour qui devaient orner toutes les correspondances. J'ai trouvé le calligraphe effaré. Il venait d'apprendre que son fils était aux prises de convulsions. Il me supplia de reporter la transcription pour le temps qu'il s'enquît de la gravité du mal qui a frappé son fils. La chose n'était pas urgente, les séances du diwan n'étant que dans trois jours. Nous étions dimanche. Cela, visiblement, ne pouvait prêter à conséquence. De loin, un kobji avait remarqué la scène.
J'ai pris mes brouillons sous les bras et fis une incursion dans la bniqa d'Antati. Il était plongé dans la lecture des « Prolégomènes » d'Ibn Khaldoun. J'ai esquissé un léger retrait quand Antati me fit signe de rentrer :
- J'ai lu les « Prolégomènes » plusieurs fois et je sais par Ibn Khaldoun que c'est la racaille qui fait l'Histoire. Alors, Chihab Eddine, quoi de neuf ?
- Rien de particulier.
- Pas de rumeur sur le Sultan ou sur ses concubines, sur un de ses fils ou de ses généraux ?
- Je ne m'intéresse guère à ce genre de commérages.
- Tu as tort, pour peu qu'on sache les analyser, ils dégagent quelques vérités.
Puis le jeune Douga fit irruption. Antati, de manière malicieuse l'invita à parler :
Douga, quant à lui, rapporte toujours des informations croustillantes. Il est au contact avec la société bouillante et féconde.
Douga avait un côté vulgaire dans son expression. Antati, quant à lui, l'aimait bien.
- Demain sera comme hier. Rien ne change dans ce maudit pays. Le Sultan qui impose aux fellahs l'exploitation de la canne à sucre, qui se fait un argent fou grâce à ses commissaires juifs... En quoi cela m'intéresserait-il ? Je languis et envie d'aller à l'aventure.
- Tu pourrais t'enrôler dans l'armée du feu de Jawdar Pacha, rétorqua Antati.
- O que non, Antati. De grâce pas les pays chauds, et surtout pas dans les pays où on ne boit pas de vin.
- Que Dieu nous préserve, poussai-je.
- Que Dieu te préserve, Chihab Eddine. Mon père ne s'est pas converti à l'islam pour se priver de vin ou des plaisirs de la vie mais pour le pouvoir et l'argent. Sauf qu'on n'a plus rien, ni pouvoir ni argent. Alors de grâce, qu'on nous laisse au moins les plaisirs de la vie !
- Personne ne t'en empêche, rajouta Antati, narquois.
- Ici, il faut soudoyer un Renégat pour avoir du bon vin ou payer au prix fort celui rapporté par les trafiquants, sinon il faut se contenter de l'eau de vie des juifs de Demnat ou les liqueurs de Tamsloht.
- Tu ne te prives donc pas ? répliqua Antati.
- Il faut passer pour un juif pour aller à la taverne de Bab Rob. L'ambiance est macabre, le vin est infect et la liqueur avariée. Et puis, ce sont les mêmes gueules de Renégats déchus, de juifs rapaces, et puis sans femmes. Il n'y a que les dignitaires dans leur quartier des Ksours ou Lmmassine qui mènent la belle vie avec du bon vin, danseuses et concubines..
J'étais écoeuré et m'apprêtais à partir quand Antati se leva pour me retenir.
- C'est aussi cela la terre de l'islam, Chihab- Eddine.
- Ah Antati ! Si tu pouvais être moins sérieux. Mais, vous autres Amazighs, vous êtes trop rigoureux, lâcha Douga.
Etait-ce le fait que le Père de Douga, eût sombré dans la débauche qui avait rendu le fils amer ? Le père était une étoile brillante à l'orée du règne de Moulay Ahmed. Douga-li était proche de Moulay Abdelmalek, et quand celui-ci trouva la mort, empoisonné dans des conditions qui n'ont jamais été élucidées, Moulay Ahmed avait procédé à une purge des Renégats au service de son frère. Il n'avait
Tombeaux des Saadiens à Marrakech.
gardé comme homme de confiance que Douga-li et le jeune Jawdar qui fera parler de lui. Douga-li était trop encombrant et ambitieux. Il était bon à assurer la transition. Il fut rogné, petit à petit, de ses prérogatives et envoyé en exil, à Founty.
- Dis moi, Pedro, m'interpella Douga.
- Je m'appelle Chihab Eddine, ai-je interrompu, surpris.
- Tu t'appelais bien Pedro chez toi..Va pour Chihab Eddine. Pour moi, musulmans, juifs et chrétiens se valent. C'est des restrictions partout. Dis-moi Chihab Eddine, frère dans l'islam...
- Je n'aime pas ce côté narquois..
- Alors comment t'appeler donc ? Traducteur attitré de Sa Majesté le Sultan.. C'est bon ? Combien y a t il d'étapes entre Marrakech et Brija, en passant par Hmer ?
- Trois, dis-je.
- On pourra m'intercepter donc, conclua t-il.
Et puis il se retourna vers Antati :
- On est fait pour nous entendre. On pourrait émigrer tous les deux vers le Brésil.
- Je n'ai d'autre patrie que celle-ci, dit Antati. Je ne la quitterai pour rien au monde, même si...
Et puis, il s'interrompit.
- Même si ? reprit Douga..
- Rien.
- Allons Antati, ne nous fais pas de cachotteries !
- Même si je dois gérer des contradictions. Même si je dois louvoyer.
- Mais tout le monde louvoie ici, sauf bien sûr Chihab Eddine et son protecteur le cadi Regragui. J'ai failli tomber dans ses grippes hier.
- Comment donc ? poussa Antati, hilare.
J- 'ai failli casser la gueule à un Renégat dans une taverne mais me suis ravisé. Le tenancier pourrait me dénoncer comme étant musulman, alors là le cadi, Regragui aurait le loisir de prononcer un verdict de... de flagellations, combien au juste ?
- Quatre vingts, ai-je dit.
- Vous voyez ! Alors je n'ai pas cassé la gueule au Renégat. Je ne fus pas dénoncé, le cadi n'a pas prononcé de verdict. Tu vois, cher Antati que moi aussi je louvoie. Au Brésil on n'aura pas à louvoyer.
La discussion aurait pu s'éterniser ainsi. Douga aimait s'épandre sur ses projets d'émigration au Brésil, voire aux Indes.. Tout d'un coup, on entendait le cri de ralliement des Kobjis, annonçant le Sultan. Nous nous levions vite et sortions de la bniqa d'Antati. On s'était mis debout dans le préau en face de l'esplanade. On voyait, au loin, le Sultan de l'enceinte du pavillon de cristal d'où il était sorti. Il était debout, habillé en robe blanche, en laine fine, appelée lemlef, avec un col fermé. La robe était confectionnée spécialement par les tailleurs du Palais et devenait très à la mode. On l'avait appelé Mansouria du nom du Sultan. Mais je n'avais pas le cœur pour cela. Il y avait un branle bas peu ordinaire. Les aides de camps, les chaouichs, ont enfourché leurs chevaux au galop. En léger retrait du Sultan, il y avait le Khaznadar, et le caïd des Spahis. Personne ne soufflait mot. Quant à nous, on était cloués. Antati ne semblait pas voir du côté du Sultan et jetait un regard en oblique, à l'image des soldats Castillans. Les kobjis couraient d'un bout à l'autre de l'esplanade. Le Sultan regardait la scène, impassible, indifférent à notre présence. Comme si le mouvement des kobjis, des chaouichs, des Spahis devait l'amuser. Cela dura un quart d'heure, peut-être plus, mais ce fut une éternité pour nous. Des éléments des Spahis couraient en direction du Sultan, en traînant le pauvre calligraphe. En le voyant, j'ai fini par tout comprendre. Le Kobji qui nous remarqua informa ses supérieurs, qui avaient dû informer le Sultan. Le pauvre calligraphe était coupable d'être parti sans autorisation. Qu'importe que son fils fût mourant. Antati avait raison, tout le monde épiait tout le monde, personne ne pouvait faire confiance à personne. Même les menus détails pouvaient être grossis. La cour avait d'autres critères, mais ces critères m'étaient familiers. Cela me rappela l'Eglise. Ou plutôt l'Inquisition. L'Inquisition est un esprit. Le bûcher n'est qu'un chaînon. L'Inquisition c'est la peur, la délation, le mensonge, la distorsion des faits. J'ai fermé les yeux et me mit à prier : « Mon Dieu, Fais que je puisse supporter les turpitudes de Tes créatures égarées, Fais que cela ne puisse me détourner de Tes lumières qui ont illuminé les univers. C'est vers Toi que je cherche refuge. Est protégé celui que Tu protèges, est dénudé celui qui cherche protection en dehors de Toi. «–Dis, O Allah, Roi des Rois, Tu confères le pouvoir à qui Tu veux, Tu le retires de qui Tu veux, Tu élèves qui Tu veux et avilie qui Tu veux. Le Bien est entre tes mains. Tu peux le tout-» (Coran : 2, 26).
J'ouvrai les yeux et vis le pauvre calligraphe jeté à bas des pieds du Sultan. Il gisait à ras le sol, le baisait et gémissait vraisemblablement. Le Sultan allait-il lui couper la tête ? Quel autre châtiment allait-il lui infliger ? Le fils du calligraphe serait-il mort ?
Le Sultan dit quelque chose, tourna les talons et puis rentra seul dans son pavillon privé. Le khaznadar et le chef des Spahis s'arrêtant au seuil de l'espace privé du Sultan. Il avait atteint ce qu'il voulait : terroriser ses serviteurs.
Nous soufflâmes, soulagés de voir la vie du calligraphe épargnée.
- Voilà une scène qui finira par se frayer la voie dans les annales de l'Histoire et risque d'éclipser les hauts faits d'Al Mansour, lâcha Antati, excédé.
- Penses-tu ? dis-je.
- Ô, l'Histoire a des voies détournées. Elle a des mystères qu'elle seule connaît, continua Antati.
- C'est pour ça que je dois émigrer au Brésil répliqua Douga.
Nous apprenions, une semaine après, dans le récit d'Al Fachtali « les Sources de la Pureté » qui n'a pas assisté à la scène, toute une autre version édulcorée. Le Sultan dans sa générosité coutumière, s'enquit de l'état de santé du fils d'un de ses secrétaires, fit un reproche paternel à son secrétaire qui quitta l'enceinte du Palais sans autorisation, et confia le fils aux vieilles dames du Palais pour soins.
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