L'ayant soigneusement conservé dans ma bibliothèque, j'ouvre à nouveau le n° 27 de la revue «Vagabondages» (septembre 2001) qui publiait une brève mais riche «Anthologie de la poésie arabe contemporaine» due au poète irakien de Paris Abdul Kader El Janabi : Passionné par le surréalisme dont il est un fin connaisseur, El Janabi est un personnage. Fou de musiques de film et ivre de poésie, il semble, lorsqu'il vous parle, s'arracher difficilement à un rêve qu'il gardera pour lui. On a pu découvrir toutes les étapes ou presque de son existence dans un récit oscillant entre la farce et le la mélancolie qu'il intitula, comme pour s'indiquer réfractaire au sens commun : «Horizon vertical» (Actes Sud, 1988). Poète arabophone féru de littérature occidentale, traducteur en arabe des Marocains Hassan Najmi et Mohamed Bennis, aussi bien que de l'Egyptienne Fatma Qandil, El Janabi a par-dessus tout le goût de ce qui tranche. Sa pente naturelle le porte à l'exception, au défi. Le plus surprenant, quand on l'a connu échevelé et éructant presque, au temps de sa jenesse parisienne, c'est de le savoir changé en travailleur intellectuel monacal. Assagi, mais comme un feu qui dort. C'est donc en songeant à tous les visages que je lui vis que je retrouve son dossier consacré à la Poésie arabe contemporaine dans «Vagabondages» qui demeure une introduction vivante à la variété des talents poétiques au Maghreb comme au Machrek. Piochons dans ce vivier toujours surprenant. L'occasion de relire «Romance» de l'Omanais Saif Al Rahbi : «L'ombre d'une femme seule / Dans un coin du Café / L'ombre d'un tigre blessé / Océan de séduction». Mais la poésie n'est pas que le moyen de dessiner sur le sable des silhouettes et des visages, des humeurs et des vœux. Salman Masalha qui vit à Jérusalem où il enseigne la littérature arabe à l'Université hébraïque écrivait «La fillette de Gaza» qu'on citera in extenso : «Avec les plumes de la mer / La fillette de Gaza confectionne des nids. / L'homme qui derrière la muraille se tient debout / Abrite sous son regard / Un collier de souvenirs. / Après avoir traversé la rue, / Les légendes, dans les nids, / Eclosent comme des œufs / Des enfants courent se blottir / Dans la couleur du temps / Ils recueillent la voix timide / Des sables du Désert / Le soir venu, les route de la mer / La nuit sourit à l'exil / Le poète rend son dernier soupir» Le lecteur habitué à ce que la prose du monde déchaine son ruban de masques et de grimaces aura rencontré avec ce poème de Salman Masalha le mélange de puissance et d'impuissance où la littérature s'acharne, la volonté de tenir pour possible ce à quoi l'on ose rêver, la dimension de vertige où s'enfoncent raison et déraison, routes et déroutes. Poète arabe de Paris comme Abdul Kader El Janabi, le Syrien Saleh Diab écrivait : «Je fume / pour que l'abandon s'étourdisse / Tandis que le silence saigne / Sous / mon regard / tel un pouce coupé» Salah a épousé une poétesse française chenue qui, lorsque je leur offris à tous les deux lors d'un repas, de l'eau minérale plutôt que l'eau du robinet me regarda comme si je venais d'avouer ainsi ma complicité dans un braquage. Quant à l'eau, je me référerai à ces vers du Libanais Abbas Beydoun : «Les bateaux sont esquintés sur l'eau / Méfiante, l'eau ne bouge pas». C'est à un autre poète libanais Chawki Bazih que je ferai confiance pour répondre à la question de savoir ce que deviennent Salah Diab et son épouse : «Les gens se précipitent vers le photographe pour renaître / Ils s'éloignent dans un frisson évanescent/ Et les photos restent»