Mireille Duteil Dans le dossier libyen, Emmanuel Macron joue les hommes pressés. La méthode est risquée dans ce vaste pays contrôlé par une myriade de milices armées. La diplomatie demande souvent de laisser du temps au temps, dans le monde arabe plus que partout ailleurs. L'avenir dira si le président français avait raison de bousculer ses interlocuteurs. Incontestablement, Emmanuel Macron a eu raison d'essayer de faire bouger la scène libyenne. C'est un de ses objectifs diplomatiques prioritaires. D'une part, parce que les pays de l'Otan sont largement responsables du chaos libyen. «Nous le devons au peuple libyen parce que, parfois, nous nous sommes substitués à sa souveraineté», a reconnu le président Macron. D'autre part, parce que la déstabilisation de la Libye a entraîné celle du Sahel et la multiplication des djihadistes et des trafics – drogues, armes, migrants – dans la région. Reconstruire l'Etat libyen, ce serait permettre à la population de retrouver un cadre de vie apaisé ; mais aussi réguler la migration de centaines de milliers d'Africains qui finissent réduits en quasi esclavage en Libye, noyés en Méditerranée ou rejetés de tous dans une Europe qui se calfeutre et où les populismes ont le vent en poupe. En mettant pour la première fois autour d'une table les quatre principaux leaders libyens (Fayez Al-Sarraj, le Premier ministre; Khalifa Haftar, le chef de l'Armée nationale libyenne; Aguila Salah Issa, le président du Parlement; Khaled Al Mishri, le président du Conseil d'Etat, Macron a marqué un point. Les Libyens se sont entendus sur une «feuille de route» en huit points qui prévoit, entre autres, l'organisation d'une élection présidentielle et législative, le 10 décembre ; la réunification des différentes armées et des forces de sécurité de l'Est (fidèles à Haftar) et de l'Ouest (à Al-Sarraj) ; celle de la banque centrale … Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Et à l'Elysée, le 29 mai, l'engagement des Libyens n'a été que verbal, rien n'a été signé, car tous sont des rivaux et auront bien du mal à abandonner leurs prérogatives. En outre, si les chefs libyens sont venus à Paris pour prouver leur bonne volonté, que va-t-il se passer avec les nombreuses milices qui contrôlent une partie du territoire et ne sont pas partie prenante de cet accord ? Ainsi, la délégation de Misrata, puissante sur le terrain, a refusé de venir à l'Elysée lorsqu'elle a appris qu'elle ne serait pas traitée sur un pied d'égalité avec les quatre «grands». De plus, sept mois semblent bien court pour organiser techniquement des élections : la loi électorale doit être adoptée avant le 16 septembre. Or, elle se base sur la constitution de juillet 2017 contestée par une partie de la Chambre des représentants installée à Tobrouk (est du pays) … Autre question épineuse : comment faire la paix dans un pays où les uns et les autres sont soutenus par des Etats qui se font la guerre par procuration ? L'Egypte, l'Arabie Saoudite, les Emirats arment le maréchal Khalifa Haftar ; le Qatar soutient des groupes islamistes. Et même l'Union africaine et l'Italie contestent la méthode Macron. Ils souhaiteraient l'organisation préalable d'une conférence de réconciliation suivie d'un referendum sur la constitution de 2017. Le chemin va être long jusqu'en décembre.