Par Mireille Duteil C'est le dernier acte d'un drame dont on ne connaît encore que les trois premiers : l'acceptation forcée par Abdelaziz Bouteflika de ne pas se présenter à un cinquième mandat présidentiel ; la reprise en main de la transition par le chef d'Etat et son entourage, pour sauvegarder le système ; l'entrée en scène officielle de l'armée et la sortie programmée du personnage principal : Abdelaziz Bouteflika, chef de l'Etat depuis mai 1999. Ce coup de théâtre d'avant-entracte semblait inévitable. Depuis le 22 février, semaine après semaine, dans le calme, la détermination, la gaieté, le sens du civisme, des millions d'Algériens, hommes et femmes, jeunes et vieux, riches et pauvres, descendent dans les rues, pour réclamer le départ du chef de l'Etat, 82 ans, malade, et la fin d'un système sclérosé qui les gouverne depuis 1962. Ils se disent déterminés à poursuivre leurs manifestations pendant de longs mois. Le 26 mars, l'armée a donc repris la main pour tenter de mettre fin au « happening permanent ». Elle l'a fait en douceur dans ce drôle d'entre-deux qui hésite entre la contestation massive et joyeuse et la révolution de velours. C'était inévitable : en Algérie, la grande muette est le pivot du pays et la garante de sa stabilité. Elle a toujours été le faiseur de roi. Depuis les manifesta- tions de février, son silence, étonnant, laissait deviner qu'elle comptait nombre de sympathi- sants des manifestants dans ses rangs et beaucoup d'adeptes du changement. Nombre de gradés veulent que l'armée s'occupe de la défense du pays et non de politique. Alors comment dénouer la situation si Bouteflika et les siens s'entêtent ? Pas question de faire un coup d'état comme en janvier 1992 lorsqu'elle a obligé Chadli Bendjedid à démissionner. La situation tunisienne, lorsque Ben Ali, ministre de l'Intérieur, renvoya le vieux Habib Bourguiba, sénile, à ses médecins, par un « coup d'état médical », semblait plus appropriée. Quoique les situations ne peuvent nullement se comparer. Ce n'est pas un putsch que voulut faire Ahmed Gaïd Salah, 79 ans, vieux chef d'état-major et vice-ministre de la Défense, proche de Bouteflika, en lui portant l'estocade le 26 mars. Il avait manifestement l'accord des hauts gradés (les dis- cussions furent probablement houleuses) pour annoncer qu'il demandait au conseil constitu- tionnel de prononcer « l'état d'incapacité » du président (article 102 de la constitution). Fin du plan de transition mis en place par Bouteflika et son entourage pour leur permettre de tirer les ficelles du pays une petite année encore. Saïd Bouteflika, le frère et proche conseiller d'Abde- laziz, n'aurait pas été mis dans la confidence. Après avoir applaudi les propos du chef d'état-major, les Algériens ont commencé à se méfier.« C'est un nouveau moyen pour éliminer Bouteflika et garder le système en place », entend-on dans les rues d'Alger. Car si, selon la constitution, la transition ne doit plus durer que quatre mois et demi, elle doit être dirigée par le président de la Chambre haute, Abdelkader Bensalah, un cacique, ex-journaliste proche de Bouteflika. Or, les jeunes manifestants ne veulent plus entendre parler des « anciens » officiels du régime. Difficile d'y échapper pourtant dans un pays où le pouvoir a toujours nommé ses proches aux fonctions politiques, dans l'administration, l'économie, la culture, les médias…. Les récalcitrants existent, mais ils ne sont pas légion et ne sont guère en position d'être entendus. Que va-t-il se passer ? Les manifestants vont-ils réussir à obtenir l'organisation d'une transition dirigée par des « hommes neufs et compétents » ? Comment les trouver ? Les « décideurs » de l'armée peuvent-ils accepter de lâcher les rênes du système ? On en doute. Ils peuvent accepter de composer mais encore faut-il des interlocuteurs. Le dernier acte risque d'être le plus difficile.