Avis de gros temps sur l'Europe. Tétanisée par l'épidémie de coronavirus à laquelle elle n'était pas préparée (comme le reste du monde), l'Europe se découvre impuissante à contrer rapidement le nouveau virus. Là n'est pas le seul front sur lequel elle doit se battre. Depuis une semaine, son incommode voisin devenu son adversaire, le cynique président turc Recep Tayip Erdogan incite les migrants réfugiés sur son sol à rejoindre l'Europe. On leur fait miroiter l'ouverture des frontières de l'Eldorado européen. Des dizaines de milliers de pauvres diables sans espoir se sont précipités vers la frontière grecque. Ils ont été accueillis à coup de gaz lacrymogène. Un air de déjà-vu. Soudain, l'Europe s'est vue revenir à 2015 lorsque, Erdogan, déjà, débordé par le nombre de réfugiés venus de Syrie et d'émigrés arrivés d'Orient et d'Afrique, les avait poussés sur les routes de l'exil européen. Leur nombre avait ébranlé dans ses fondements une Europe devenue trop riche et trop égoïste. En 2016, la crise migratoire s'était soldée par un accord passé par Bruxelles avec Erdogan : contre la promesse d'un gros chèque, il avait gardé près de 4 millions de réfugiés sur son sol, devenant le garde-frontière d'une Europe déconsidérée par ses divisions et son absence d'humanité. Bis repetita en 2020. Le maître d'Ankara prend de nouveau les réfugiés en otage, des hommes, des femmes et des enfants qui n'ont plus rien en poche, lorsqu'ils arrivent à la frontière grecque. Nombre d'entre eux ont été dévalisés de leur argent et même de leur téléphone par des policiers en service commandé. L'Europe stupéfaite regarde se rejouer le scénarii turque. En pire. Car Erdogan ne prend même pas la peine d'habiller son chantage : que l'Europe m'apporte son soutien en Syrie et la crise migratoire sera résolue, a-t-il déclaré à Ankara, dimanche dernier. L'Europe qui depuis quatre ans feignait de croire que le problème des 4 millions de réfugiés en Turquie n'existait plus, se retrouve devant un double dilemme inextricablement lié. Non seulement celui des réfugiés abandonnés de tous, mais aussi la guerre en Syrie. A Idlib, dans le nord-ouest syrien, les troupes de Damas et de son allié russe écrasent les derniers groupes rebelles et djihadistes au mépris du million de civils qui tentent d'échapper à la mort et se massent à la frontière turque obstinément fermée. Erdogan veut obtenir une zone de sécurité dans le nord du pays où les déplacés syriens pourraient s'installer. Damas s'y refuse. Les heurts étaient inévitable entre les deux armées. La guerre est ouverte depuis qu'Ankara a perdu une quarantaine de soldats ces dernières semaines et a abattu trois avions syriens. Erdogan veut faire d'une pierre deux coups. En utilisant l'arme des réfugiés, il tente de les envoyer en Europe, et d'obtenir que celle-ci fasse pression sur la Syrie et la Russie pour trouver une solution au million de Syriens massés sur sa frontière sud. L'Europe n'a aucune solution à proposer. Elle est incapable de faire pression sur Bachar el-Assad et Poutine. Les réfugiés de Turquie et les déplacés de Syrie risquent donc sd'être les victimes de cette impuissance dont les partis populistes européens seront les vainqueurs. Quel gâchis.