L'éviction du président de l'instance anticorruption et son remplacement par le gendre d'un conseiller du Premier ministre soulève moult interrogations dans les coulisses du pouvoir tunisien. Le limogeage surprenant d'Imed Boukhris, président de l'Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), a déclenché une vague de critique envers Hicham Mechichi, le chef du gouvernement. Quelques heures après son éviction, Imed Boukhris a été reçu par le président Kaïs Saïed. Qui affiche son désaccord avec son chef de gouvernement et estime qu'il n'a pas respecté les procédures. Lors de l'entretien filmé entre Imed Boukhris et Kaïs Saïed, on comprend que le président dénonce le double discours de certains de ses ministres. Imed Boukhris, nommé il y a à peine dix mois, explique en plan large au président les difficultés qu'il a dû affronter. Et le président lui répond : « C'était attendu car tu as relevé un ensemble de problèmes et tu as donné un ensemble de preuves en ce qui concerne certaines personnes », des ministres, ajoute le président. Imed Boukhris a été immédiatement remplacé par Imed Ben Taleb, juge et gendre de l'un des conseillers du Premier ministre Hichem Mechichi. Si aucune raison officielle n'a été avancée pour l'éviction d'Imed Boukhris, ce dernier a révélé dans un entretien accordé au journal tunisien Al-Maghreb, dans son édition de mercredi dernier que l'INLUCC a dévoilé notamment que plus de 20 mille doses du vaccin AstraZeneca, réceptionnées par la Tunisie, ont vu leur date de péremption expirer le 31 mai dernier, soulignant que l'instance avait lancé une alerte à ce sujet. Le ministère de la Santé a démenti ces informations, affirmant que toutes les doses importées de ce vaccin ont été utilisées à l'exception de 190 qui ont été périmées. Pour le responsable du comité parlementaire pour la lutte contre la corruption, Badreddine Gammoudi, le limogeage d'Imed Boukhris constitue une nouvelle preuve que « la corruption en Tunisie est protégée par la classe politique ». Gammoudi souligne que Boukhris a été démis de ses fonctions pour son refus de se soumettre aux pressions qui ont été exercées sur lui pour qu'il renonce à ouvrir des dossiers de corruption à grande échelle. Commentant son limogeage, Imed Boukhris a déclaré que l'INLUCC est une fierté pour la Tunisie et ne sera jamais instrumentalisée pour purger certaines personnalités, en notant qu'il ne sera jamais un faux témoin d'un système corrompu commandé par des responsables qui prennent des décisions arbitraires à leur guise, sans tenir compte de l'intérêt du peuple. "Le gouvernement cherche à normaliser avec la corruption" « J'ai choisi la discrétion et le respect de l'obligation de confidentialité à cause de la gravité de l'état sanitaire et de l'état des lieux actuel du pays. Je suis devenu un obstacle devant le gouvernement de Mechichi et une source de dérangement, c'est pour cette raison qu'ils m'ont révoqué », a ainsi affirmé Imed Boukhriss dans une interview à un journal tunisien. Il a exprimé sa crainte de voir la Tunisie payer si cher le coût de décisions à la fois irréfléchies et irresponsables. Des décisions dont les répercussions seront regrettables et affecteront l'image de marque de la Tunisie, étant donné que ce gouvernement ne respecte nullement ses institutions. Et de conclure qu'il semble que "le gouvernement cherche à normaliser avec la corruption". Absence de volonté gouvernementale pour la lutte anti-corruption. Pour sa part, le député affilié au bloc démocrate Nabil Hajji, a lui aussi commenté l'éviction de Boukhriss, dans une déclaration rapportée par le site Tunisie numérique. Hajji a d'abord rappelé que le Premier ministre Hichem Mechichi n'a pas mis l'accent sur la lutte contre la corruption au cours de la séance plénière tenue le 1er septembre 2020 au parlement pour le vote de confiance au gouvernement actuel. Il a aussi relevé qu'il n'y a aucun ministre chargé, actuellement, de la lutte contre la corruption, ce qui prouve l'absence de la volonté du gouvernement Mechichi de mettre en avant le dossier en question. Le député a ainsi affirmé les déclarations de Imed Boukhris sur la non émission du décret gouvernemental relatif à la déclaration des biens des responsables gouvernementaux et les députés montrent que Hichem Mechichi veut protéger sa ceinture politique. Selon Hajji, "Mechichi n'est pas intéressé par la mise en place des réformes économiques ni la lutte contre la corruption, il est plutôt concentré sur la protection des parties qui le soutiennent".