Ben Gazzara n'est pas seulement un acteur, c'est d'abord un homme. J'entends par là, pour lui, que le style de sa vie importe plus que le cinéma ou plutôt que les seuls films qui valent d'être vus sont ceux où l'on se confond avec l'autre. C'est justement pour ça qu'il nous est si cher. En dépit même de sa filmographie où il faut bien le reconnaître, il n'y a pas que des chef-d'œuvres. Ben Gazzara n'est pas de ceux qui font la une des gazettes. Il ne défraie pas la chronique avec des frasques mondaines ou des déclarations tonitruantes. Pourtant, il est une star intime sur l'écran noir de nos nuits blanches. Que voulez-vous, le charme ne s'invente pas ! Une élégance virile et féminine. Une voix cuivrée et puissante. Une maturité grave et joyeuse qui s'étoffe au fil des ans. Un magnétisme irrésistible et discret auquel on succombe sans combattre. Voilà son secret. Immigré italien et new-yorkais dans l'âme, homme de théâtre, issu du monde de l'Actor's Studio, comme la plupart des comédiens de sa génération, Ben Gazzara a la fibre latine et l'intelligence vive. Après des débuts à l'écran d'Hollywood dans « Demain, ce seront des hommes » de Tack Garfein, il se frotte au plus prestigieux et au plus charmant des acteurs américains : James Steward sous la houlette du Viennois Otto Preminger dans « Autopsie d'un meurtre ». Accusé du meurtre d'un violeur, le jeune Gazzara laisse parler le maître Stewart qui est aussi son avocat. Symbolique effacement d'un jeune loup, économe de ses paroles, qui préfère écouter celui qui est déjà une légende du cinéma américain. Ben Gazzara n'aura pas toujours la chance de tourner avec des partenaires ou des cinéastes aussi brillants. Sa carrière, un peu lacunaire est ponctuée par la série télévisée : « Match contre la vie », qui l'impose au public presque contre son gré. Mais là n'est pas l'essentiel. Vers la fin des années 60, notre italo-américain fait une rencontre décisive. Celle du plus grec des cinéastes américains : John Cassavetes, en qui il trouve l'alter-ego idéal. D'homme libre à homme libre se tisse une complicité qui durera, en apparence, le temps de trois films, mais en réalité, bien davantage. Car plus que la relation d'un acteur avec son metteur en scène, c'est une affinité profonde et évidente qui lie Ben Gazzara à Cassavetes. La direction d'acteurs n'est plus seulement affaire de technique mais aussi affaire de sentiments. L'amitié nourrit le cinéma. Le cinéma nourrit l'amitié. La différence s'estompe entre la vie et les films. Harry dans « Husbands », Cosmo Vitelli dans « Meurtre d'un bookmaker chinois », Manny Victor dans « Opening night », trois figures qui sont plus que des personnages de cinéma, des êtres de chair et de sang, des anti-héros forts et faibles à la fois. Harry c'est l'Américain moyen délirant, entraîné dans une aventure incertaine. Manny Victor, plus rationnel, c'est le metteur en scène qui fait face aux débordements de Myrrle Gordon, la comédienne un peu schizophrène jouée par Gena Rowlands. Mais c'est Cosmo Vitelli qui restera son rôle le plus marquant parce qu'il élève l'acteur au niveau du mythe. Dans ce polar aux accents bluesy et mélancolique, Ben Gazzara incarne un perdant magnifique, patron d'une boîte de strip-tease guetté par les tueurs, chez qui la féllure devient le signe de la séduction suprême. Après cette expérience inoubliable, il y a Peter Bogdanovich, un ami de Cassavetes et un « Saint Jack », frère jumeau de Cosmo Vitelli suivi du « Et tout ce monde riait », qui redonne un coup de jeunesse à la comédie américaine. Puis Marco Ferreri pour « Les contes de la folie ordinaire » avec Ornella Muti pour patenaire, « Begin the beguine » aurait son doute été la prochaine collaboration Gazzara/Cassavetes. Le destin en a décidé autrement. Aujourd'hui, reprennent le flambeau, l'acteur change des casquettes et se métamorphose en metteur en scène. Le film s'appelle « Beyond the océan ». Nouvelle aventure, nouveau risque. « Cosmo, tu es un prince ». C'est la réplique lancée au vol par un des mafiosés de « Meurtre d'un boukmaker chinois ». Au sujet de l'homme comme de l'acteur, je crois qu'on ne peut pas mieux dire.