Depuis le tremblement de terre d'Al-Haouz, un comité scientifique tente d'analyser les ressorts de cet événement tragique. Voici ses premières conclusions. Après l'effroi, vient le temps des leçons. Le récent séisme d'une magnitude de 7,1 sur l'échelle de Richter qui a frappé la province d'Al-Haouz a été qualifié comme l'un des plus violents de l'Histoire du Maroc. Le dernier bilan fait état de 2.946 morts et 5.674 blessés, ainsi que des dégâts matériels estimés à près de 10 milliards de dollars. Depuis l'avènement de cette catastrophe le 8 septembre, la communauté scientifique n'a cessé de débattre des mécanismes géologiques ayant conduit au tremblement de terre.
Pour coordonner ces travaux et tenter de répondre aux questions en suspens, le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable a réuni les plus éminents géologues, géophysiciens et sismologues marocains au sein d'un comité scientifique. En utilisant des images satellites à haute résolution, des données sismiques et des logiciels d'analyse 3D, le comité devrait étudier le séisme d'Al-Haouz sous tous les angles, dans le but de prévenir et de mieux se préparer à de tels événements à l'avenir.
Tectonique des plaques
Membre de ce comité scientifique, le professeur de géologie au sein de l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) et expert en géodynamique des chaînes de l'Atlas, Khalid Amrouch, nous livre ses premières analyses.
Pour notre expert, la question prioritaire est la redéfinition des zones à risques. "Ni la région d'Al-Haouz ni même les montagnes du Haut Atlas n'étaient considérées jusqu'au 8 septembre comme des zones à haut risque sismique, ce qui nous oblige à rapidement mettre à jour de nouvelles cartes, et bien sûr exiger l'application de normes de construction rigoureuses pour éviter de revivre cette tragédie nationale", préconise-t-il.
S'il était difficile de prévoir un séisme d'une telle violence dans cette zone, une première explication peut être donnée. "Cette région se caractérise par un relief accidenté, où se rencontrent des sommets imposants allant jusqu'à plus de 4.000 mètres de hauteur. Autour de la zone de l'épicentre, nous pouvons décrire deux principales familles de failles plurikilométriques. La première famille est orientée Nord-Est-Sud-Ouest, et une deuxième famille de failles plutôt de direction Est-Ouest à Ouest-Nord-Ouest-Est-Sud-Est", analyse Khalid Amrouch.
"Dans un contexte de raccourcissement Nord-Sud, résultant de la convergence entre la plaque africaine et celle eurasienne, un mouvement brusque et intense le long d'un de ces accidents géologiques a libéré une importante masse énergétique qui a provoqué la propagation d'ondes sismiques à travers la croûte terrestre. Ce sont ces ondes-là qui ont causé des "vibrations" de la surface de la terre et qui ont provoqué la destruction que nous avons malheureusement constatée dans beaucoup de régions au niveau du Haut Atlas", poursuit-il.
La magnitude élevée reste à expliquer
Il convient de rappeler que la magnitude d'un séisme dépend à la fois de la taille de la faille activée, de l'amplitude de son mouvement (jeu de faille) et de la profondeur du foyer (l'hypocentre). Le professeur explique : "Les données initiales révèlent une profondeur de faille relativement importante, mais restant dans la croûte supérieure (moins de 20 km), une vitesse de rupture élevée et une durée de séisme relativement courte mais intense".
"Ces paramètres sont cruciaux pour comprendre l'impact du séisme, et nous pensons que l'extension considérable des failles orientées Est-Ouest et leur faible inclinaison pourraient expliquer l'ampleur de l'énergie libérée par ce séisme. Il n'est pas exclu que les failles de la deuxième famille orientée Nord-Est/Sud-Ouest aient également été actives, mais dans une moindre mesure", détaille-t-il, avant de poursuivre : "Nous aurons une idée plus précise des véritables causes de cette magnitude inattendue une fois que nous aurons progressé davantage dans nos recherches géologiques liées à cette tragédie".
Le Royaume reste marqué par le séisme du 29 février 1960 à Agadir qui a entraîné la perte de plus de 12.000 vies humaines. Selon plusieurs spécialistes, le récent séisme d'Al-Haouz est bien plus puissant que celui survenu 63 ans plus tôt. "En comparaison avec le séisme d'Agadir de 1960, celui du 8 septembre 2023 a libéré presque 100 fois plus d'énergie, ce qui a eu un impact géologique beaucoup plus étendu, en particulier si les données sismologiques et structurales confirment que ce sont effectivement les failles orientées Est-Ouest qui sont responsables de ce séisme majeur", nous informe le professeur de géologie de l'UM6P.
3 questions à Khalid Amrouch "Il est primordial de bien définir et mieux comprendre les réseaux de failles majeures qui peuplent le Maroc" Quelle est la probabilité de l'avènement de répliques sismiques dans les jours à venir ?
La probabilité de répliques sismiques est élevée dans les jours qui suivent un séisme majeur, nous en avons d'ailleurs recensé plusieurs tout le long de la semaine, certaines avec des magnitudes dépassant les 4 degrés. Cela dit, il ne faut pas trop s'inquiéter pour autant, les répliques sont courantes après un séisme majeur comme celui que nous venons de subir, car la croûte terrestre a besoin de temps pour s'ajuster à cette soudaine libération de contraintes.
Pourquoi est-il si difficile de prédire ce type de séismes ?
Prédire les séismes reste un défi en raison de la complexité des processus géologiques. Il n'existe pas de signes précurseurs clairs, mais la surveillance sismique continue est essentielle. Celle-ci permet – à défaut de prédire et prévenir le moment et le lieu exact du prochain séisme – de dessiner les cartes d'aléas sismiques et de cartographier les zones de risques sismiques.
Quelles sont les avancées technologiques qui pourraient être mises en œuvre pour renforcer la préparation aux séismes au Maroc ?
Il est à mon avis primordial de bien définir et mieux comprendre les réseaux de failles majeures qui peuplent le Maroc, surtout au niveau de nos chaînes de montagnes : le système Atlasique (le Haut et le Moyen Atlas) et le Rif ainsi que leurs alentours respectifs. Ensuite, étudier comment celles-ci sont et seront affectées par le rapprochement tectonique entre les plaques africaine et eurasienne. Aussi, un plus large déploiement de capteurs et de stations sismiques, sans oublier la création de modèles numériques dynamiques pour une préparation optimale aux séismes en mettant – continuellement – à jour les cartes d'aléas et de risques sismiques.
Tremblements de terre : Avant Al-Haouz, il y a eu Agadir et Al-Hoceima Deux tremblements de terre majeurs ont marqué l'Histoire récente du Royaume. Le plus désastreux est celui d'Agadir. Le 29 février 1960 à 23h40, un séisme d'une magnitude de 5,72 sur l'échelle de Richter frappe la ville. En raison de son épicentre situé directement sous Agadir, les dégâts sont colossaux. Entre 60% et 90% des bâtiments ont été détruits en raison de normes de construction inadéquates. Entre 10.000 et 15.000 personnes sont décédées, et un tiers de la population a été blessé. Les dommages sont estimés entre 70 et 120 millions de dollars US. Des secours internationaux ont été fournis, et la ville a été reconstruite conformément aux normes parasismiques avec un investissement de 45 millions de dollars US. Un séisme plus récent a eu lieu à Al-Hoceima. Le 24 février 2004, un violent séisme d'une magnitude de 6,3 degré sur l'échelle de Richter a frappé la ville et ses régions, faisant près de 628 morts et causant des dégâts matériels considérables.
Impact économique : Une évaluation encore difficile Les dégâts économiques du séisme d'Al-Haouz sont encore difficiles à évaluer, mais les premières indications suggèrent des coûts élevés, notamment pour la reconstruction des zones touchées.
Les pertes économiques peuvent atteindre jusqu'à 8% du PIB, soit 106 milliards de dirhams, selon certains scénarios. Les impacts sectoriels varient, mais l'approvisionnement alimentaire national devrait rester stable malgré des défis logistiques.
Sur le plan macroéconomique, la situation est complexe avec des pertes humaines, des blessés, des infrastructures à reconstruire et un soutien à long terme aux familles touchées. Les héritages de la pandémie, les tensions géopolitiques en Europe, les pressions sur les prix des importations alimentaires et la montée du dollar compliquent davantage la situation.
La période post-séisme se divise en trois phases : urgence, réhabilitation et reconstruction. La réhabilitation implique la reconstruction d'infrastructures, la récupération des emplois perdus et la fourniture de ressources financières aux ménages touchés. Les activités tertiaires, qui représentent une grande partie de la richesse nationale, seront impactées, car plus de 67% des entreprises de la région Marrakech-Safi opèrent dans ce secteur.
Le Fonds spécial pour la gestion des effets du séisme et les contributions nationales et internationales soulageront la pression sur la Trésorerie, mais les dépenses resteront élevées. L'inflation et la situation du marché national devraient rester maîtrisées tant que la région sinistrée n'affecte pas significativement l'offre nationale.