Pendant très longtemps, la nationalité d'un film était définie par le système de production. La nationalité de la société de production et le pays qui l'héberge établissaient tout naturellement leur nationalité à celle du film. On retrouve ainsi les films français et les films mexicains de Luis Bunuel, lui qui est un cinéaste espagnol, qui avait travaillé pour le compte de la France comme pour le compte du Mexique. Alfred Hitchcock compte également une carrière britannique et une autre américaine, cela dépend du système de production de ses films, nullement de sa nationalité. Cette situation a prévalu au Maroc également, avant et après l'indépendance. Quand on confirme que le premier long métrage marocain est « Vaincre pour vivre », produit en 1968, on fait fi sur toutes les productions antérieures, c'est-à-dire les films produits par des capitaux marocains et réalisés par des cinéastes étrangers. C'est le cas par exemple du « Collier de Beignets », produit par les studios Souissi siégeant à Rabat et réalisé par Jean Flêchet, ce lauréat de l'IDHEC qui a fait carrière au Maroc avant de rentrer chez lui, et qui travaillait pour les comptes de ces studios. « Le Collier » n'est que l'aboutissement d'une carrière entamée avec « Ami Driss » en 1953, où l'on voit pour la première fois à l'écran Larbi Doghmi. « Le Collier », avec sous-titre « Brahim », est un film conçu à la mesure de Hassan Skalli, dont c'est le premier rôle à l'écran également, entouré des comédiens de l'époque : Tayeb Saddiki, Bachir Laalej, Hammadi Ammor, Abderrazak Hakam, Ahmed Tayeb Laalej. Ce film représente le Maroc au festival de Berlin, soutenu par Ahmed Rida Guédira sur instruction du prince Hassan, fier de cette production montrant le véritable visage des Marocains, affrontant une réalité amère, une fois conquise l'indépendance. Peut-on trouver, dans le tas de films marocains produits depuis lors, un film bradant son patriotisme aussi fort que « Le Collier de Beignets » ? On s'en doute. Autre production marquante, celle des « Enfants du Soleil » (1961) réalisé par Jacques Sévérac, un habitué du Maroc depuis 1930, date à laquelle il réalise « Sirocco » ou « La Rose de Marrakech », film synchronisé à Berlin et qui représente le Maroc à l'exposition coloniale de Paris. « Les Enfants du Soleil » est une pure production marocaine que les cinéphiles des ciné-clubs vont découvrir pour la première fois en décembre 1982 à Rabat, en marge du premier festival national du film, quand la fédération organisa ses propres activités à l'institut de la télécommunication. Ce film est produit par David Dayan, un juif marocain de Casablanca qui décida d'investir dans les films. Il périt dans un accident d'avion près d'Agadir sans jamais voir son film. « Les Enfants du Soleil » représenta le Maroc au festival de Cannes en 1962, sans décrocher de prix, mais reçut une critique favorable, évoquant son style direct et la sincérité du propos, s'articulant autour de ces enfants cireurs que le jeune Etat marocain n'arrive pas à adopter. Echec qui continue jusqu'à nos jours. Un film duquel « Ali Zaoua » a beaucoup à apprendre et qu'interprètent si sobrement les jeunes de Casablanca, soutenus par Mohamed Said Afifi, Tayeb Saddiki, Hassan Skalli et Bachir Laâlej. Encore eux. Pendant très longtemps et jusqu'à nos jours, on porte à croire que Mohammed Ousfour est le réalisateur du premier long-métrage marocain, avant que tout le monde se rende compte aujourd'hui, que « L'Enfant Maudit » n'est qu'un court-métrage dont la version intégrale ne dépasse guère les 40 minutes. Pendant des années encore, on nous a fait croire que « La Route du Kif », rebaptisé « Alerte à la Drogue », est notre premier long métrage alors que la participation de Mohamed Tazi n'a pas dépassé le stade de l'assistanat pour ce film purement italien réalisé par Ian Zanchini. Est-ce une manière délibérée pour ignorer l'autre cinéma marocain et de ce fait, ignorer les vérités de l'Histoire ?