La fin du régime de Viktor Ianoukovitch en Ukraine n'a pas apaisé les inquiétudes des Occidentaux qui craignent désormais une partition du pays, une période potentiellement dangereuse d'instabilité politique et une réaction imprévisible de la Russie. L'Ukraine est entrée dimanche de plain pied dans l'ère post-Viktor Ianoukovitch et a réaffirmé son «choix européen», mais fait face à des difficultés abyssales, à commencer par un risque de défaut de paiement. Les nouvelles autorités ukrainiennes ont lancé lundi un mandat d'arrêt pour «meurtres de masse» contre le président déchu Viktor Ianoukovitch et réclamé 35 milliards de dollars d'aide, alors que la chef de la diplomatie européenne est attendue dans la journée à Kiev. La chef de la diplomatie de l'UE, Catherine Ashton, a annoncé dimanche soir qu'elle se rendrait lundi à Kiev pour discuter des mesures à prendre pour trouver une solution politique alors que l'Ukraine se trouve au bord de la banqueroute et est menacée de partition. La bonne volonté de Mme Ashton risque cependant de ne pas être suffisante tant les risques d'explosion sont grands et les moyens de la Haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères limités. Tout un chacun en Europe a salué la transition démocratique qui s'est amorcée depuis vendredi en Ukraine mais observe la situation avec une certaine inquiétude alors que le fossé qui oppose l'Est russophone et russophile, majoritaire, et l'Ouest nationaliste et ukrainophone semble se creuser. «L'unité et l'intégrité territoriale du pays doivent être respectées», a souligné dimanche soir un communiqué de l'Elysée à l'issue d'entretiens entre le chef de l'Etat français, François Hollande et la chancelière allemande, Angela Merkel. M. Hollande a souhaité «la constitution d'un gouvernement de large rassemblement afin d'organiser rapidement des élections et lancer un programme de réformes». Plus tôt, la chancelière allemande s'était entretenue avec le président russe Vladimir Poutine et était arrivée aux mêmes conclusions. Mme Merkel et M. Poutine «sont d'accord sur le fait que l'Ukraine doit se doter rapidement d'un gouvernement en mesure d'agir et que l'intégrité territoriale doit être préservée», a annoncé la chancellerie allemande. Défaut de paiement Plus direct, le chef de la diplomatie allemande, Frank-Walter Steinmeier, un des ministres européens à l'origine de l'accord conclu entre M. Ianoukovitch et l'opposition, a souhaité que «la philosophie de ceux qui seront au pouvoir à l'avenir (à Kiev) ne soit pas dictée en premier lieu par la vengeance, mais par la sécurisation de l'unité ukrainienne pour le futur». L'inquiétude des Européens est partagée par les Américains. Une partition de l'Ukraine ou le «retour de la violence» ne sont dans l'intérêt ni de l'Ukraine, ni de la Russie, ni de l'UE ou des Etats-Unis, a ainsi jugé dimanche une proche conseillère de Barack Obama, Susan Rice. Interrogée sur la crainte d'une intervention militaire russe en Ukraine, Susan Rice a simplement indiqué que «ce serait une grave erreur». Rien ne laisse toutefois penser à ce stade à une hypothétique action militaire russe. Le secrétaire d'Etat américain John Kerry s'est entretenu dimanche avec son homologue russe Sergueï Lavrov. M. Kerry a rappelé la nécessité «par tous les Etats de respecter la souveraineté de l'Ukraine, son intégrité territoriale et sa liberté de choix», selon un haut responsable du département d'Etat américain. Lui faisant écho, le président ukrainien par intérim, Olexandre Tourtchinov, a appelé dimanche la Russie à respecter «le choix européen» de l'Ukraine, dans une adresse à la nation diffusée à la télévision. Moscou estime que l'opposition ukrainienne n'a pas rempli une seule des obligations de l'accord négocié vendredi avec le pouvoir, sous l'égide de Paris, Berlin et Varsovie, qui prévoyait une sortie de crise institutionnelle au prix du maintien au pouvoir quelques mois de Viktor Ianoukovitch. Tandis que M. Tourtchinov a rappelé que son pays se trouve au bord du défaut de paiement, l'Union européenne a proposé de raviver l'accord d'association dont le refus par Viktor Ianoukovitch en novembre dernier avait provoqué la crise politique actuelle. Le Fonds monétaire international (FMI) s'est dit dimanche prêt à aider l'Ukraine, tout comme Washington, sans précision de montants ou de conditions. Selon le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, les propositions européennes d'aide économique «pourront probablement être amplifiées». Son homologue britannique, William Hague s'est dit prêt, avec le ministre allemand Steinmeier, à soutenir le déblocage d'une aide financière du Fonds monétaire international (FMI). L'Ukraine a des besoins de financements de plusieurs dizaines de milliards de dollars cette année. Le FMI était prêt à accorder une aide en échange de réformes drastiques que Viktor Ianoukovitch refusait, tandis que Moscou lui proposait une aide d'au moins 15 milliards de dollars. L'Ukraine face à des défis majeurs dans l'après-Ianoukovitch Après trois mois de crise politique aigüe qui ont culminé cette semaine avec les plus violents affrontements qu'ait connu ce jeune pays issu de l'Union soviétique (82 morts en trois jours), l'ex-opposition s'est rapidement mise au travail pour remettre le pays en état de marche. Le Parlement, désormais dominé par les anti-Ianoukovitch, a énergiquement pris les choses en main et nommé Olexandre Tourtchinov, un proche de l'opposante Ioulia Timochenko, au poste de président par intérim. La nomination d'un gouvernement devrait suivre dans les 48 heures, en attendant la tenue d'une élection présidentielle le 25 mai. Le nouveau chef de l'Etat n'a cependant pas fait mystère des difficultés qui attendent le pays. «L'Ukraine est en train de glisser dans le précipice, elle est au bord d'un défaut de paiement», a-t-il dit dans une adresse à la nation diffusée à la télévision. Il a néanmoins réaffirmé que l'intégration européenne était «une priorité» pour l'Ukraine. «Nous sommes prêts à un dialogue avec la Russie, en développant nos relations sur un pied d'égalité (...) et qui respecteront le choix européen de l'Ukraine. J'espère que cette orientation sera confirmée à la présidentielle», a-t-il dit. Intégrité territoriale Les dirigeants occidentaux avaient multiplié tout au long de la journée de dimanche les appels à «l'unité et l'intégrité territoriale du pays». Une partition de l'Ukraine ou le «retour de la violence» ne sont dans l'intérêt ni de l'Ukraine, ni de la Russie, ni de l'UE ou des Etats-Unis, a estimé une proche conseillère de Barack Obama, Susan Rice. La chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Vladimir Poutine sont eux aussi tombés «d'accord sur le fait que l'Ukraine doit se doter rapidement d'un gouvernement en mesure d'agir et que l'intégrité territoriale doit être préservée», a annoncé la chancellerie allemande dans un communiqué. La communauté internationale redoute que la crise des derniers mois n'ait encore creusé le fossé entre l'Est russophone et russophile, majoritaire, et l'Ouest nationaliste et ukrainophone. Sur le terrain cependant, les régions plus proches de Moscou ne donnaient pas signe de vouloir faire sécession. Anatoli Moguilev, le Premier ministre de Crimée, péninsule du sud russophone qui abrite une importante base militaire russe, a annoncé dimanche que la république autonome allait se plier aux décisions du Parlement. Et dans la région de Kharkiv (est), également russophone, le gouverneur et le maire, qui avaient fui le pays samedi, sont revenus dimanche et ont déclaré que «Ianoukovitch, c'est du passé». Destitué, Ianoukovitch restait introuvable. Il a été lâché par son propre parti, le Parti des régions. «L'Ukraine a été trahie, les Ukrainiens dressés les uns contre les autres», a dénoncé le parti dans un communiqué. Viktor Ianoukovitch est «responsable des événements tragiques» en Ukraine de la semaine, a-t-il affirmé. Tapant du poing sur la table lors d'une session au Parlement, des députés ont exigé de savoir où il se trouvait, sans obtenir de réponse. Pour l'heure, l'ex-président ne fait l'objet d'aucune poursuite officielle. Hommage aux martyrs Dimanche, le centre de Kiev avait renoué avec un semblant de normalité. Profitant du calme revenu, des dizaines de milliers de personnes, familles avec jeunes enfants, sympathisants émus ou simples curieux, se sont pressés au centre-ville pour observer de leurs propres yeux l'étrange décor de guérilla laissé par la crise. Chargés de fleurs et armés d'appareils-photo, ils se recueillaient, inspectaient les imposantes barricades, les boucliers des défenseurs et les impacts de balles laissés par les violents affrontements de la semaine. Selon un nouveau bilan donné dimanche par le ministère de la Santé, les violences ont fait 82 morts depuis mardi. «Leur mort doit avoir un sens, provoquer un vrai changement. On ne veut pas seulement des nouvelles têtes au Parlement et au gouvernement, mais voir la fin de la corruption et du régime policier», explique Filip Samoilenko, 18 ans. Dans le même temps, le siège du Parti communiste, allié du parti de Viktor Ianoukovitch au Parlement, a été saccagé par des manifestants et les inscriptions «Criminels», «assassins», «esclaves de Ianoukovitch» ont été taguées sur la façade du bâtiment. Quelques 40 statues de Lénine ont aussi été déboulonnées ou vandalisées depuis le début de la semaine, principalement dans l'est du pays, selon les médias ukrainiens.