La laïcité seule ne peut pas être une réponse aux maux que traversent la France et l'Europe. Disons-le d'emblée : il faudra certainement puiser dans les valeurs spirituelles de chacun pour comprendre le sentiment d'appartenance communautaire, identitaire et culturelle d'une frange de la société, de l'Autre qui est en nous. Si la laïcité est un espace de concorde, indispensable, comment est-elle appréhendée par l'Autre ? Peut-elle seulement être comprise ? Il y a des intransigeances du côté de la laïcité, il y a des intransigeances du côté des religions. En arrière plan, se profile le face-à-face, duel, entre l'Orient et l'Occident. Nous sommes différents. Par bonheur ! Attention, vraiment différents ! La différence peut nous enrichir comme elle peut nous détruire. Deux civilisations sœurs s'affrontent et s'attirent, se rejettent et se cherchent, condamnées à s'entendre. Le dialogue, à Palerme ou à Grenade, a été fragile mais essentiel pour l'histoire des idées, si ces moments sont rares, l'histoire nous montre qu'ils sont possibles. Aujourd'hui, le dialogue se pose là où il y a fracture entre 2 mondes. La France doit construire une société égalitaire où l'altérité devient moteur de richesse économique, culturelle et sociale. Mais pour construire cette promesse, les «forts» doivent rétablir l'image meurtrie des «faibles», les laissés-pour-compte. Ceux qui souffrent peuvent être dangereux parfois. Le monde arabe souffre. Mais, ailleurs, peut-on dialoguer en donnant des leçons ? En France, ceux qui sont descendus dans les rues doivent demander aux «politiques» d'Ecouter. Ecouter les ghettos, Ecouter l'échec de l'intégration, Ecouter l'échec de l'école, le manque d'espoir pour certains, et la réussite de certains de leurs frères ? Ecouter ceux qui viennent d'à côté. Ecouter la Palestine, Ecouter l'agonie de son peuple. Maintenant qui pourrait croire que l'on puisse sortir indemne d'une réalité quotidienne à «deux poids-deux mesures» ? Pour tout cela, il faut arrêter de s'Ecouter soi-même. Cesser les petites manigances politiciennes, cesser de donner une importance démesurée à des histoires privées et sordides, cesser de disséquer à longueur de temps le « style », la petite phrase de tel ou tel homme politique, passant en boucle dans les médias. Aujourd'hui, ça ne tourne plus rond ! Peut-on rêver un instant... et entendre des politiques dire demain «on s'est trompés», on a oublié de construire l'essentiel pour répondre à une question essentielle : Et maintenant ? Comment fait-on pour vivre ensemble ? La France a-t-elle jamais construit en son sein l'altérité ? Peut-être pas. Quel pari pour l'avenir ! Mais qui pourra aimanter les contraires ? Montrer le chemin, ouvrir le dialogue ? Ce sont les passeurs, les passeurs entre les deux mondes. Eux seuls sauront traduire les ressentis, les peurs, les espoirs. Eux seuls pourront cadrer et recadrer l'espace de réflexion, amener les uns à comprendre les autres. Sans doute, la France devra aussi se dénuder. En remuant les tranchées explosives du colonialisme et du post-colonialisme. En revisitant ses alliances sulfureuses. Ses faux intérêts qui sont déjà ses vrais pièges et soudain les pieuvres se retournent, invisibles, contre la République frappée d'effroi. Pour vivre ensemble, il faut travailler à la fracture de soi et à la fracture de l'Autre. A ce point ultime ou intime qui ne s'infléchit pas. Qui refuse. Qui fuit. Un point de violence. Un moment de risque : c'est là que se situe la découverte de l'Autre. Il ne faut pas avoir peur de parler de nos différences. L'Occident met l'homme au centre du monde visible, l'Orient le confond dans sa communauté. Alors, comment se rassembler sans se connaître ? Trente années d'égarement, dit-on, nous amènent vers ce vide meurtrier. Il ne s'agit déjà plus de savoir si on est ou pas Charlie, il s'agit de trouver le ton juste, égalitaire, équitable, pour le vivre ensemble dans ce que l'on appelle désormais les «Territoires Monde». Tendez juste la main ! L'Autre en nous attend.