Trois évènements marquants, liés l'un à l'autre, ont marqué la semaine qui vient de s'écouler. Le rapatriement du Yémen de la dépouille du Lieutenant Yassine Bahti, inhumé mercredi à Casablanca, l'arrivée du Souverain, le même jour, à Dakar à bord d'un B-747 saoudien et la participation, au Caire, d'une délégation marocaine menée par le Général El Houcine Benmimoune, à la réunion de chefs d'état-major d'armées arabes, qui s'est achevée hier. Cette rencontre de hauts gradés s'est déroulée dans le cadre de la future création d'une armée arabe commune. Dans le monde présent ou la communication est élément stratégique de la politique étrangère des nations, les funérailles de Feu le Lieutenant Bahti dans sa propre ville, diffusées aux infos télévisées, dix jours après son décès aux commandes d'un F-16, signifie clairement que le Maroc ne manque pas de ressources pour régler lui-même les problèmes qui peuvent se poser du fait de sa participation à la Coalition arabe. Le déplacement en Afrique subsaharienne du Souverain à bord d'un avion saoudien pourrait être interprétée comme une manière de faire taire les rumeurs sur une prétendue mésentente maroco-saoudienne, suite au crash du F-16 marocain et aux efforts déployés pour récupérer la dépouille du pilote. Les experts des questions militaires ne vont pas manquer de disserter en long en en large sur le fait, pour les appareils de la Coalition arabe, d'emprunter plusieurs fois de suite le même couloir aérien, ou sur les moyens de « contre-mesures électroniques » (ECM en anglais) qui feraient défaut aux chasseurs marocains, ce sont là effectivement des sujets qui méritent ample examen. Mais tel, ici, n'est point le propos. L'alliance entre les deux royaumes, marocain et saoudien, se situe au-delà de divergences de communiqués à propos d'une question ponctuelle. L'essentiel est dans la dernière pointe de la triangulation, l'émergence d'une force arabe commune, dont l'un des piliers serait le Maroc. Quelques analystes à la courte vue se sont précipités pour estampiller cette force commune arabe en gestation d'OTAN arabe, opposé au supposé péril d'un croissant chiite au Moyen Orient, sans oublier la menace, autrement plus réelle, du terrorisme jihadiste. Le bien fondé de cette approche géopolitique de la création d'une force arabe commune pêche essentiellement par une obnubilation envers les événements qui ensanglantent le Moyen Orient. Placée dans le contexte plus large de l'ensemble de la planète, cette force arabe commune semble plutôt répondre à un besoin de regroupement régional arabe face à un processus de dé-globalisation de plus en plus manifeste. L'OTAN n'a plus les moyens de s'imposer comme une police planétaire et l'ONU n'est plus qu'un bureau d'enregistrement des conflits, incapable d'être proactive en matière de prévention, se contenant de réagir après coup, en légitimant ou condamnant des faits déjà accomplis. Avant même le déroulement de la réunion de camp David, au courant de ce mois, entre le président des États-Unis et les pays du Conseil de coopération du Golf, ces derniers avaient déjà compris que le mieux qu'ils puissent escompter des Américains, c'est de leur acheter des armes pour se défendre tous seuls. Le président Obama est pressé de signer un accord avec l'Iran, après d'âpres négociations, ou le nucléaire ne faisait que couvrir le partage du Moyen Orient, afin de réaliser le fameux pivot stratégique des forces étasuniennes vers l'Extrême Orient. Tant que la sécurité d'Israël est assurée, le sort du reste de la région, les Américains s'en lavent les mains. Pour les Arabes, dont le récent printemps démocratique s'est transformé en hiver jihadiste, c'est indéniablement le début d'une nouvelle ère, ni voulue, ni prévue. Dans ce contexte, le Maroc a un rôle à jouer, des atouts à faire valoir et des bénéfices à engranger. Ce qui signifie également un prix à payer. Le Royaume est un allié des pays du CCG, ne se gêne pas de l'afficher, ni de servir ainsi au mieux ses intérêts. C'est aussi un allié des pays de l'OTAN, chose qui lui a permit d'ailleurs d'affuter l'un de ses atouts majeurs au sein de la future force arabe, une armée professionnelle, rôdée même aux opérations extérieures. Mais plus encore, le Maroc jouit d'une solidité historique qui fait défaut à nombre de pays de l'Orient arabe, dont les frontières ont été tracées par le centenaire accord de Sykes-Picot. Et pendant que nombre de pays arabes ont longtemps erré dans les limbes du panarabisme, avant le brutal réveil en sursaut islamiste, les Marocains, pragmatiques, avec le patriotisme pour seul idéologie politique, n'ont rien cédé à leurs valeurs et traditions religieuses, tout en mordant à pleines dents dans la modernité. Ils se retrouvent, de la sorte, les seuls capables de diffuser les enseignements véritables de l'Islam à travers l'Afrique subsaharienne, donnant corps à un Occident du Monde musulman, lié au Moyen Orient, sans pour autant en dépendre sur le plan théologique. C'est ce rôle d'interface entre deux blocs culturels proches et différenciés qui a été parfaitement symbolisé par la descente de SM le Roi, Commandeur des croyants, d'un avion saoudien à Dakar. En terre d'Afrique, le référent religieux marocain est un fait admis et reconnu en tant qu'élément stabilisateur et unificateur, dans le cadre plus large de la « Oumma » musulmane. Orthodoxes dans leur attachement à leur religion, sans être pour autant sectaires, les Marocains ne se voient les ennemis d'aucun pays ou courant théologique. Tant qu'ils ne sont pas agressés, ni leurs proches alliés. Ils répugnent également à voir tout un peuple, le yéménite en l'occurrence, instrumentalisé, dans une guerre d'influence régionale par proxy interposé, alors que la déchirure du monde arabe est toujours béante en Libye, en Irak et en Syrie. Parti se battre pour le rétablissement de la légitimité au Yémen, feu le Lieutenant Yassine Bahti y a laissé sa vie, mais sa dépouille a été enterré, avec les honneurs militaires, dans sa ville de Casablanca, en présence de sa famille. Casablanca- Dakar- Le Caire, les trois sommets d'un triangle qui a indiqué en une semaine les caps géostratégiques régionaux pris par le Maroc, en consacrant son rôle de pivot multifonctionnel.