L'humiliant désaveu infligé à l'UE par les Britanniques, premier Etat à quitter le bloc, aura-t-il raison du projet d'intégration européenne né sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale? Car, même si tout ne sera pas bouleversé du jour au lendemain, le départ du Royaume-Uni va forcer des changements fondamentaux dans une Union à la merci d'une vague de fond europhobe et en proie à des crises multiples (migrants, léthargie économique, terrorisme...). Le président du Conseil européen Donald Tusk, qui avait alerté sur une "fin de la civilisation politique occidentale" en cas de Brexit, a immédiatement réagi en soulignant qu'il n'y aurait pas de "vide juridique" après la décision du Royaume-Uni. "Il s'agit d'un moment historique mais assurément ce n'est pas un moment pour des réactions hystériques", a souligné M. Tusk, l'air grave, lors d'une brève allocution. Le résultat a été reçu comme un coup de massue par les europhiles, mais il est aussi un "coup de semonce" même s'il ne signifie "pas la mort" de l'UE, comme l'a répété Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne. "Le Royaume-Uni a toujours été à part, très périphérique. C'est une amputation, d'un membre important, comme un bras. Mais quand on est amputé d'un bras on peut survivre", note Yves Bertoncini, directeur de l'institut Delors, le think tank fondé par l'ex-président de l'exécutif européen Jacques Delors. "Je ne pense pas que l'Union va disparaître soudainement. Mais à plus long terme, on pourrait assister à son lent déclin et à l'émergence de quelque chose de différent", prédit de son côté Chris Bickerton, spécialiste de l'UE à l'Université de Cambridge, qui entrevoit une Union "plus flexible". "Nous entrons vraiment dans des eaux inconnues. Je ne crois pas que les dirigeants européens aient vraiment cru que le +Brexit+ était possible", observe l'universitaire. Aujourd'hui, c'est d'un long divorce douloureux, peut-être acrimonieux, qu'il s'agit. Et il est très probable que les autres Etats membres voudront, malgré tout, aller de l'avant. Le président français François Hollande a d'ores et déjà annoncé une visite en Allemagne la semaine prochaine pour "travailler à la relance de la construction européenne". Mais le couple franco-allemand, moteur historique de l'UE, s'est récemment distingué par ses divergences sur l'intégration de la zone euro, et tout projet "refondateur" pourrait se révéler modeste. "Le moment est venu de poser la question (...) sur ce que nous attendons de la vie commune. Quels sont ceux qui se satisfont de l'Europe réduite à un grand marché? Quels sont ceux qui sont désireux d'engager enfin une vraie Europe politique, dans les domaines où elle est nécessaire, et seulement dans ceux-là?", énumère de son côté le député européen du Parti populaire européen (PPE, droite), Alain Lamassoure. La sortie du Royaume-Uni de l'UE pourrait encourager les appels à une Europe "à deux vitesses", celle d'un noyau central pour une intégration "toujours plus grande" autour duquel gravitent les autres membres. Ces derniers pourraient bénéficier d'arrangements similaires à ceux décrochés par Londres et Copenhague qui bénéficient de clauses d'exemption en matière de justice et d'affaires intérieures. L'appartenance à la monnaie unique pourrait ainsi faire l'objet d'exemptions pour ceux qui le veulent. Mais ce que les dirigeants européens craignent par dessus tout, c'est un "effet domino". Le référendum britannique a déjà donné des idées aux europhobes. "Les forces centrifuges à l'oeuvre actuellement sont trop dangereuses. Avant tout aux Pays-Bas et au Danemark", estime Lüder Gerken, président du Centre pour la politique européenne basé à Fribourg. Pour Nicole Fontaine, ancienne présidente du Parlement européen, il y a un "risque", mais le Brexit "peut constituer un choc salutaire". "Quand on va constater les conséquences économiques qui vont frapper la Grande-Bretagne en premier, ça peut calmer les pays tentés par cette contagion", espère Mme Fontaine, anticipant de grandes difficultés outre-Manche à la suite de cette rupture. Pour Yves Bertoncini, il reste deux conditions pour que les prédictions les plus pessimistes se réalisent: la volonté des autorités nationales d'organiser de telles consultations publiques, et la volonté des peuples, ce qui ne lui semble pas forcément acquis - "sauf peut-être au Danemark". "Les institutions meurent rarement", nuance de son côté Vivien Pertusot, de l'Institut français des relations internationales (Ifri). "Il n'y aura peut-être pas une dislocation, une désintégration, mais plutôt une perte de pertinence: l'UE n'est plus un forum où l'intérêt collectif prédomine, il y est de plus en plus difficile de trouver des compromis", argue M. Pertusot. Les banques centrales sur le pied de guerre après le choc du Brexit Les banques centrales étaient sur le pied de guerre vendredi après le choc du non britannique à l'Europe, prêtes à intervenir ou l'ayant déjà fait pour prévenir un assèchement de liquidités et contrer des mouvements extrêmes de changes. Au lendemain du choix des Britanniques par référendum de quitter l'Union européenne, la livre sterling était en chute libre, les autres devises extrêmement volatiles, et les Bourses dégringolaient, titres bancaires en tête. Une situation d'instabilité qui avait déjà conduit à la mi-journée plusieurs banques centrales à agir - ou promettre de le faire. Concernée en premier chef par les répercussions du référendum, la Banque d'Angleterre (BoE) a indiqué qu'elle était prête à injecter 250 milliards de livres (326 milliards d'euros) de fonds additionnels afin d'assurer des liquidités suffisantes pour le fonctionnement des marchés. Dans la foulée, la Banque centrale européenne (BCE) s'est dite "prête à fournir des liquidités supplémentaires, si nécessaire, en euros et en devises étrangères", promettant par ailleurs d'"assumer ses responsabilités" eu égard à la stabilité des prix et du secteur financier en zone euro. En "contact étroit avec les autres banques centrales", l'institution monétaire de Francfort a, en parallèle, tenté de ramener un peu de calme en assurant que "le système bancaire de la zone euro est résistant en termes de capitaux et de liquidités".