A sept kilomètres de Merzouga, le village de Khamlia se dresse comme une trace historique indélébile et un repère identitaire séculaire. Par Mustapha Elouizi Les souvenirs du "koyo" chantés par les Gnaouis locaux font remonter le temps, pour raconter les péripéties du passé, les vibrations du présent et les aspirations du futur. Ici, l'on est chez les Marocains descendants de la région du Sahel, venus au pays, depuis déjà des siècles, dans le cadre du commerce triangulaire. La couleur de peau des habitants, les habitudes, la danse et la musique ainsi que le mode d'habitation renseignent sur ces anciennes racines africaines. C'est un véritable champ d'études anthropologique. A l'entrée du village et des deux côtés du bitume, l'image d'enfants tentant, autant que faire se peut, de persuader les usagers de la route, des touristes en général, d'acheter des écureuils chassés dans les dunes mitoyennes, fait désormais décor statique de ce plateau naturel. D'autres, cartables sur le dos, s'acheminent, midi passé de quelques minutes, vers leurs demeures en pisée, saluant au passage les touristes à bords de leurs véhicules tous terrains non stop. Khamilia n'est autre qu'un hameau africain, aux modestes demeures clairsemées, au pied des dunes jaunes ou roses, selon le temps qu'il fait. Le pisée offre une joliesse incommensurable au milieu. La disposition aléatoire de dépendances utilitaires met en valeur le style de vie communautaire. Des tas de bois de feu et des fours traditionnels se trouvent ici et là, et sont gérés collectivement, mais aussi rationnellement. Bien que le village dispose d'un réseau d'approvisionnement en eau potable à l'intérieur des demeures même, des groupes de filles et de femmes sont souvent vues à bord de leurs montures en direction de la source la plus proche. " L'eau de la source est plus douce ", disent-elles. Ce n'est qu'une réponse qui cache mal le besoin d'être en groupe, et l'envie sociologique de partager les informations et discuter de leurs préoccupations. Dans le cas de Khamlia, le communautarisme est loin d'être en perte de vitesse. Mais des signes d'ouverture et de mixité sont là. La synergie avec plusieurs familles des tribus d'Aït Khabbach est viable et la mixité commence à s'imposer, pour ceux qui décident de déménager, d'envoyer leurs élèves en classe secondaires et surtout pour ceux qui veulent envahir le monde cosmopolite du tourisme. Le visiteur qui entend divulguer les mystères de ce village, emprunte les multiples pistes déjà tracées par les véhicules tous terrains. A son insu, il pense qu'il est seul. Mais les villageois sont là. Derrière les portes mi-ouvertes, les fenêtres semi transparentes, et les murs jaunâtres, l'on ressent facilement une douce et gentille présence. Tout au long de la route, des panneaux de signalisations renseignent sur les institutions du village. Des associations de développement, des auberges, restaurants, galeries d'art à l'un des indicateurs les plus suivis reste celui menant au "nid" des pigeons du sable-, groupe musical orchestré depuis vingt ans par Lmâllam Zayd Oujjeaa. Erigé en un très beau et modeste musée, ce local associatif reste un passage incontournable de tous les groupes de touristes. Vingt cinq jeunes personnes, tous habillés en djellabah blancs et ceinture rouge, babouches et turban blanc, contrairement aux costumes en couleurs des Gnaoua d'Eassaouira, assurent l'animation quotidienne aux visiteurs de différentes nationalités. Du thé, des amendes et cacahuètes sont servis aux invités en rituel, et au menu de résistance danses et rythmes Gnaoui. Zayd et son groupe jouent cet art dans son état pur. Pas de fusion, pas de rythmes non africains, et pas de sensation du jeu, l'on reproduit toujours avec la même sincérité et la même authenticité. Hajhouj, crotales et Ganga (tambour) font la fête. Vers la fin de la prestation, l'on offre aux visiteurs la possibilité de s'associer à la danse, pas de transe, certes, mais des sensations fortes traversent les volontaires. Vers la fin, ceux qui désirent réécouter cette musique spirituelle peuvent acquérir les CD disponibles sur une étagère à la sortie. Mais l'événement phare que connait la Khamlia est bel et bien la "Sadaka" (aumône), sorte de festival et carrefour de tous les originaires de ce village, des passionnés de l'art Gnaoui et des fidèles parmi les étrangers qui découvrent aussi des femmes, dans une expérience singulière de cet art. Toute cette richesse culturelle fait que le taux de retour à Khamlia soit important, souligne Lmâalam Zayd. Quelque milliers reviennent ainsi chaque mi-août pour fêter cette longue " Lila " de transe, se remémorer les racines et pérenniser une tradition ancestrale.