Les poursuites judiciaires entamées en Espagne contre le commandant de la Guardia Civil à Mellila ont révélé que l'accord de réadmission entre le Maroc et l'Espagne ratifié en 2012 n'a été utilisé que deux fois. Réticences du Maroc, complexité de la procédure, obligations légales de l'Espagne, l'accord est - et devrait rester - lettre morte. L'accord de réadmission entre le Maroc et l'Espagne, ratifié en octobre 2012, n'a été utilisé que deux fois en deux ans. «En vertu de l'Accord de l'Espagne et du royaume du Maroc relatif à la circulation des personnes, au transit et à la réadmission des étrangers entrés illégalement, sur les deux dernières années, seuls deux cas se sont transformés en réadmissions acceptées par le Maroc», selon le Haut commandement du corps de la police nationale de Mellila, rapporte le juge Emilio Lamo Espinosa qui poursuit Ambrosio Martin Villasenor, le chef du commandement de la Guardia civil de l'enclave pour les expulsions de migrants vers le Maroc hors de tout cadre juridique. En 2013, les agents de la Guardia civil ont intercepté un peu plus de 4 370 immigrés qui essayaient d'entrer clandestinement en Espagne. Si leur nombre n'a pas augmenté depuis 2012, les migrants se focalisent de plus en plus vers les deux enclaves du nord : Sebta et Mellila. La police espagnole a intercepté 1 667 immigrants irréguliers en 2013, contre 1014 en 2012, soit une hausse de 64%. L'espoir en Espagne, il y a 2 ans Dans ce contexte, la ratification par le Maroc en octobre 2012 de l'accord de réadmission signé 20 ans plus tôt a soulevé de grands espoirs en Espagne. Il autorise (sous conditions) l'Espagne à expulser au Maroc tous les migrants entrés irrégulièrement sur son territoire en passant par le Maroc. S'agissant de Sebta et Melilla, aucun doute n'est possible. «Un élément fondamental dont nous disposons aujourd'hui même est l'accord de réadmission entre l'Espagne et le Maroc […] nous avons beaucoup d'espoirs parce qu'il peut être, et je suis sûr qu'il sera, à l'avenir un outil essentiel à l'heure où le Maroc autorise le débarquement non seulement des barques qui arrivent en Espagne et que nous pouvons intercepter, mais également les immigrés interceptés dans le périmètre frontalier», se réjouissait encore, en mai 2013, le commandant Eduardo Lobo Espinosa en poste au Centre de coordination maritime du littoral et de surveillance des frontières de la Direction générale de la Guardia civil. Ce que la Guardia civil a voulu prendre pour un laisser passer automatique – «sans aucun traitement administratif», selon Eduardo Lobo Espinosa- pour tous les immigrés parvenus irrégulièrement sur le sol de Sebta et Melilla n'a pas eu les effets escomptés. L'accord bilatéral avec le Maroc «semble donner lieu à des problèmes» a reconnu Alfonso Alonso, le porte-parole du Parti populaire, en février 2014. Ils sont de deux ordres : légaux et de coopération bilatérale. Le Maroc traine les pieds Contrairement ce que laissait penser la ratification de l'accord par le Maroc, le royaume reste toujours aussi peu disposé, semble-t-il –le conditionnel reste de rigueur puisqu'aucune information officielle n'est donnée d'un côté ni de l'autre-, à accepter les migrants expulsés par l'Espagne. «Il faut avoir documenté la réadmission grâce à l'expédition par les gendarmes marocains d'un «certificat» qui note l'identité fournie par l'Espagne. […] Le Maroc ne délivre pas de certificat, encore moins concernant Ceuta et Melilla, qu'il considère comme son propre territoire», explique l'un des membres de la Guardia civil à El Mundo, en février 2014. Mehdi Alioua, chercheur spécialiste en migration internationale à l'Université internationale de Rabat, avance la même hypothèse. Le Maroc coopèrerait-il que l'accord de réadmission resterait encore inutilisable en l'état pour l'Espagne. Dans son désir de se débarrasser à tout prix des immigrés, le gouvernement espagnol veut pouvoir opérer ces réadmissions immédiatement, sans s'embarrasser d'une procédure longue et coûteuse, or l'accord de réadmission ne le permet pas. Dès son article 2, il stipule que la demande de réadmission doit être faite dans les 10 jours après l'entrée illégale : «elle doit contenir toutes les données disponibles relatives à l'identité et éventuellement les documents d'identité en possession de l'étranger, et les conditions de son entrée illégale sur le territoire de l'Etat demandeur ainsi que toutes les autres informations disponibles sur celui-ci.» Rien n'autorisera "les retours à chaud" Autant d'informations qu'il est très difficile et donc très long de recueillir dans le cas de migrants subsahariens qui ont perdu ou jeté leurs papiers d'identité au cours de leur long parcours. Alors, comme l'ont reconnu à plusieurs reprises les autorités espagnoles, la Guardia civil recourt à des retours à chaud sans se préoccuper de l'identité des gens qu'elle expulse donc hors du champ d'application de l'accord de réadmission hispano-marocain. Enfin, même si l'accord de réadmission était plus souple et ne demandait à l'Espagne de ne fournir aucune information sur les immigrés qu'elle veut expulser, elle prendrait le risque d'enfreindre la loi espagnole. «Aucun accord de réadmission des immigrants signé avec le Maroc ne permettra jamais le retour instantané des immigrants qui sont entrés en Espagne, puisqu'à partir du moment où une personne est sous l'autorité espagnole, elle est sous l'application de la loi sur les étrangers», a rappelé la sous-commission des étrangers du Conseil général des avocats espagnols, or celle-ci offre la possibilité de demander l'asile, un avocat et le droit de faire appel d'une décision administrative d'expulsion. Elle garantit des droits aux migrants.