La publication de cette chronique coïncide avec la disparition du Professeur Thami El Khyari, décédé samedi dernier à la suite d'une longue maladie. Beaucoup de jeunes voient en lui l'homme politique qu'il était, à la fois comme Secrétaire national du Front des forces démocratiques (depuis la création de ce dernier en 1997), membre du Bureau politique du Parti du progrès et du Socialisme depuis 1975, ou ministre sous le gouvernement d'alternance El Youssoufi (1998-2002). Mais Si Thami n'était pas que cela. Il était d'abord et avant tout un penseur et un enseignant chercheur qui a contribué à la formation de toute une génération de cadres tant à l'Institut agronomique à côté de feu Paul Pascon, qu'à la Faculté de droit de Rabat où il animait un séminaire de troisième cycle sur l'économie agricole. Le défunt avait acquis, grâce à ses sorties successives sur le terrain en compagnie de ses étudiants ou pour animer des réunions politiques avec les paysans dans différentes régions du Maroc (Gharb, Haouz, Tadla..), une connaissance fine de la réalité du monde rural et de ses configurations sociales. Ses origines rurales n'ont pas été absentes à cet intérêt. Il éprouvait un grand respect à la classe paysanne productive, rappelant par certains aspects l'attitude des Physiocrates. Ainsi, écrivait-il en 1980 lors d'un colloque organisé par le PPS sur «la question agraire au Maroc» : «ramener la crise à la mentalité des paysans, pour ne pas parler des «fellahs», c'est passer à côté des problèmes. Certes les petits propriétaires et mini copropriétaires continuent encore à utiliser des technique non efficientes, mais ceci n'a rien à voir avec leur mentalité, ni avec leur fatalisme. S'ils ne recourent pas à d'autres techniques, c'est pour des raisons simples et logiques : les conditions de production dans lesquelles ils se trouvent ne le leur permettent pas. Il n'existe pratiquement plus de paysan au Maroc qui ne sache que le labour au tracteur est supérieur au recours aux animaux de trait, il n'existe plus de paysans qui ne sache que la préparation des terres avant les pluies est bénéfique pour la production ; de même que tous les paysans savent que l'utilisation des engrais et des semences sélectionnées augmente les rendements. De sorte que continuer à répéter des idées désuètes, c'est se tromper carrément d'époque». Cette connaissance pratique du monde rural, conjuguée à une vision théorico-politique claire constituent le trame de fond de sa thèse d'Etat en sciences économiques, thèse qu'il avait soutenue brillamment devant un jury présidé par le grand économiste Samir Amine. (thèse publiée aux éditions OKAD sous le titre : Agriculture au Maroc). Préfaçant cette publication, Samir Amine écrivait : «Thami El Khyari a observé soigneusement et analysé avec beaucoup de perspicacité et d'intelligence l'histoire du développement agricole du Maroc depuis l'époque coloniale jusqu'à nos jours». Et de poursuivre plus loin : «Mais la thèse de Thami El Khyari n'est pas seulement un document d'économie rurale appliquée. C'est aussi une thèse d'un intérêt théorique évident». Cette thèse n'a rien perdu de son actualité. Les problèmes dans lesquels se débattait le Maroc à ce moment sont les mêmes que ceux d'aujourd'hui. La même question se pose : quel traitement réserver à la «question agraire» ? Relire la thèse de Si Thami El Khyari et en tirer les enseignements qui s'imposent est le meilleur hommage que nous puissions lui rendre afin d'immortaliser sa pensée. *Membre du Bureau Politique du PPS et Professeur à la FSJES Rabat Agdal
