Les mécréants, une aventure humaine Mohcine Besri est un jeune cinéaste marocain, vivant en Suisse. Son premier long métrage, Les mécréants qui traite de l'enlèvement d'une troupe de comédiens par un groupe terroriste, vient de sortir dans les salles marocains ; il a déjà suscité un début de polémique, un prédicateur de l'est du pays lui reproche de « donner une fausse image de l'Islam » (sic). Il nous parle ici de son parcours et de la genèse de son film. AlBayane : Quel est le parcours qui a précédé la réalisation de ton premier long métrage Les mécréants ? Mohcine Besri : J'ai grandi dans une famille d'artistes ; mais mes études qui à la base sont scientifiques m'ont mené vers d'autres champs de connaissance (NDLR :il est informaticien) ; cependant, au fond de moi je savais que je rejoindrai tôt ou tard le monde artistique mon milieu naturel en quelque sorte. C'est ainsi qu'après quelques expériences en tant qu'assistant, je me suis lancé dans la réalisation, tout d'abord un court métrage « Kafka, Mort ou Vif » puis un deuxième « Heaven » après coup, j'ai coécrit « Opération Casablanca » long métrage de Laurent Nègre avant de me lancer dans l'aventure des Mécréants. Le scénario se base en partie sur des éléments qui renvoient à l'actualité liée au phénomène terroriste et extrémiste ; quel en a été le point de départ, le déclic ? Cela remonte à l'été 2007 sur le tournage du film Châtiment de Hicham El Hayat ; j'ai rencontré Abdenbi El Beniwi et Rabii Tadlaoui, on a commencé à discuter et l'envie de faire un film engagé est venu au fil de nos discussions. Par la suite ils m'ont présenté les autres membres de ce qui sera l'équipe des Mécréants, Très vite le courant est passé entre nous et l'envie de travailler ensemble fut immédiate, on voulait faire un film qui traite des sujets qui avaient nourris nos discussions plusieurs soirs de suite, avec un point de vue sans concession et sans démagogie. Toute l'équipe a été constituée autour de la même exigence, à savoir le talent et une adhésion totale aux idées défendues Concernant le thème du film, c'est parti de deux évènements. Le premier est que je n'arrête pas de penser au jeune terroriste de mai 2003 qui s'est fait exploser au bord du cimetière juif ; drôle d'idée de porter la mort chez les morts ! Cela m a intrigué ! Je me suis dis que peut être ce jeune homme devait se faire exploser dans un autre endroit, mais que, pour une raison quelconque, il avait douté de sa cause, et a préféré le faire dans un cimetière, justement, pour épargner des vies. Le deuxième événement est arrivé dans un hôtel à Marrakech. A la veille de notre départ, mes deux sœurs étaient venues ; elles étaient sur mes genoux, et je discutais avec les comédiens. Un vieux monsieur avec une barbe de religieux était dans le hall de l'hôtel, il me lançait des regards noirs, ne sachant pas qu'il s'agissait de mes sœurs. Lorsque mon ami le comédien Rabii commençait à imiter une autruche, tout le monde riait de plaisir et le barbu s'y est mis aussi un peu malgré lui.... Je savais alors que je tenais l'idée de mon film. Le rapport aux comédiens est essentiel dans un dispositif de cette nature (huis clos), comment a été mené le travail à ce niveau ? Les Mécréants est une aventure humaine avant d'être un film ; je n'avais pas une relation de réal à comédien avec les miens. Depuis le début, j'avais besoin d'être entouré par des personnes qui sont habitées par cette histoire ; les comédiens ont été impliqués dès le début de l'écriture en lisant les premières versions du scénario. Nous avons passé beaucoup de temps au cours de l'année de préparation à discuter des personnages. Les comédiens connaissaient parfaitement leurs personnages longtemps avant le tournage, et ils ont pu les peaufiner dans ces moindres détails. Comment tu as mené cette phase de l'écriture sachant que le scénario portait déjà l'idée du huis clos qui donne une importance particulière aux joutes verbales ; à l'échange devenu le terrain de confrontation entre les protagonistes ? Pour moi le choix du huis clos était presque une évidence, je suis un grand fan de ce genre de film d'une part et d'autre part, l'histoire que je voulais raconter s'y prête totalement : réunir les deux extrêmes de notre société dans un même lieu pour les amener/pousser au dialogue ressemble à une expérience dans un laboratoire. Je savais que les dialogues allait être un élément très important dans le film, et qu'il fallait qu'ils coulent de source, que ça ne sonne pas faux, une dose d'humour pour ne pas alourdir le traitement et garder ainsi une certaine distance. Le film est porté par une certaine fraîcheur malgré la nature noire voire tragique du drame ? Quels sont les paramètres de mise en scène que tu as privilégiés pour maintenir ce rythme ? Le postulat de base est tragique mais à partir du moment où on arrive à la maison, le tragique cède la place à l'attente, puis les évènements s'enchainent jusqu'a la fin du film. Le défi et la difficulté était de penser une mise en scène qui soit en adéquation avec l'évolution des personnages individuellement et des personnages entre eux. Je pense que le décor, très varié malgré le fait d'être dans le même endroit, a beaucoup aidé à apporter cette fraicheur Le film a démarré avec un grand succès au niveau de sa participation dans les festivals avec notamment le Prix du meilleur film arabe ; quels sont les échos que tu as reçus de son accueil par le public dans un contexte culturel marocain marqué par de nombreuses polémiques autour du cinéma ? Je pense que les polémiques autour des films est un passage obligé ; notre production cinématographique a beaucoup gagné en nombre et en qualité ces dernières années ; il est presque normal qu'elle suscite de l'intérêt chez les uns et de la crainte chez d'autres qui y voient une arme contre leurs intérêt, mais le public garde le dernier mot, c'est lui qui décide de la vie et la mort d'un film dans les salles et ça c'est une bonne nouvelle. Entretien réalisé par Mohammed Bakrim