Etre légitime, c'est en termes courants, être reconnu comme justifié et être accepté. La reconnaissance publique est la clé de la légitimité. Il est évident que le juge, parce qu'il tranche des différends en disant le droit, se trouve exposé à une appréciation de sa légitimité. Notre société doit se reconnaître dans ses juges et ceux-ci doivent, par un effort quotidien et incessant, accumuler ce capital de crédibilité par quoi se fonde et s'assure la légitimité du pouvoir de juger. Celle-ci dépendra de leurs jugements. En effet, c'est par rapport à leurs décisions que leur respectabilité ou légitimité doit s'exprimer. Le «pouvoir de juger», déjà reconnu par dahir, ne confère pas « la légitimité» au juge. Celle-ci ne peut lui être concédée que par la société. Elle est symbolisée de façon claire par la balance, symbole qui ne parle au public que si le magistrat est lui-même intègre, inattaquable et équitable. Ce symbole a également sa source dans Le Coran, Sourate AR-RAHMAN – versets 7, 8 et 9, qui prévoient l'exigence du respect des poids et mesures dans la balance. Ainsi lorsqu'on parle d'indépendance de la justice, il faudrait d'abord régler le problème de la légitimité du juge. Toute déontologie doit se fonder sur deux données, la prise de conscience par le magistrat de sa responsabilité et de ce qu'il représente dans le corps social, exigeant que soient remplies trois conditions. I – Exigences au niveau de son métier Le métier de juge a des exigences spécifiques. Appeler à juger les Hommes, il doit toujours avoir à l'esprit que le propre de l'être humain est d'être insatisfait de son présent et inquiet de son futur. Mais son rôle n'est pas d'imposer n'importe quel ordre. C'est pourquoi l'action du magistrat est une action ingrate que seule la bonne foi permet de découvrir à travers les dispositifs des jugements et arrêts. Tout cela pour dire que le magistrat exerce une fonction qui exige de lui des qualités intellectuelles et morales qui ont besoin d'être sans cesse confirmées. Il est toujours placé à la croisée des antagonismes économiques ou sociales, voire politiques. Or dans tous ces domaines, l'homme n'agit pas mais est agi par sa passion, sa cupidité ou ses convictions. Le drame est qu'il faut qu'à la fin de la procédure, il y ait un gagnant et un perdant. Dans tous les cas, pour ce dernier «il n'y a pas de justice». II – Exigences au niveau de sa formation La tâche qui est celle des magistrats est très lourde aujourd'hui. En effet, elle n'est plus ce qu'elle était car notre société est devenue de plus en plus compliquée par les effets démultipliés des techniques. Il se développe actuellement d'immenses domaines d'activité où le droit classique n'est pas utilisable. Ainsi, le magistrat, juriste strict résolvant dans la pratique les problèmes proposés, par référence au droit, a disparu. Un nouveau mode de formation, répondant non pas tellement à une nouvelle fonction qu'à des conditions nouvelles, est indispensable. Une véritable formation en ce domaine passe non pas par des connaissances livresques ou dispensées sous forme académique et portant sur des connaissances juridiques déjà sanctionnées par des diplômes universitaires, mais par l'apprentissage répété, en petits groupes de discussion conduits par des animateurs qualifiés. Ensuite, une formation technique et psychosociologique plus approfondie devrait être programmée en formation continue pour développer la possibilité actuellement offerte à des magistrats exerçant des fonctions spécialisées. La formation du magistrat suppose donc une double formation : celle du juriste qui doit rester un bon juriste avec un ensemble énorme de textes et celle du sociologue, politologue, technologue…, qui devrait avoir une teinture de tout ce qui constitue notre société. La justice n'est pas une application mécanique de texte. C'est un art qui consiste non seulement à dire ce qui est juridiquement exact, mais aussi ce qui est bien pour une société. Notons que cet art fait appel à la conscience des juges, et à ce titre, il conviendrait, pour légitimer ce juge, de revoir les modes de son recrutement. III – Exigences au niveau de son mode de recrutement Il existe deux modes de recrutement : - Le premier consiste dans l'élection du juge. Cette forme de nomination est largement pratiquée aux USA parce que le système de formation du juge le veut : le juge n'est pas formé dans un institut spécialisé, il se découvre « juge » avec la pratique après la licence en droit (trois ans). Mais ce système comporte des défauts : l'élection crée une dépendance du juge, qui devient tributaire de son électorat. On ne peut être réélu en déplaisant à ses électeurs. L'on peut craindre, en effet, qu'il lui soit rappelé : « Mais qui donc t'a fait juge ? - Le second mode de recrutement résulte de la sélection du juge par concours, ce qui écarte la subjectivité de l'élection et permet de vérifier la compétence professionnelle du juge. Mais un tel mode de recrutement est également critiquable. On peut lui reprocher de favoriser l'éclosion d'une technocratie de la justice et d'un corporatisme des juges. Certains ont parlé de caste des juges. Le remède est de combiner les deux modes de recrutement en retenant les avantages de chacun d'eux. Ainsi la légitimité paraîtrait mieux assurée par la réunion de la sélection sur concours sur des bases démocratiques. - La sélection sur concours, comme voie principale, pour donner au juge une solide base intellectuelle, serait conjuguée avec une ouverture à des hommes ou des femmes d'expérience. Ce qui permet en effet d'aérer le corps judiciaire en intégrant, par le recrutement latéral, des personnalités d'autres corps de l'Etat, de l'Université, du monde économique et social, aux différents grades de la magistrature. - Les bases démocratiques résulteraient d'un système électif qui confère au juge une caution populaire sans qu'il soit procédé à son élection directe, mais à celle de ceux qui le gouvernent, c'est à dire le Conseil supérieur de la magistrature, lequel devrait être composé de personnalités élues au suffrage universel et choisies dans un cercle restreint de candidats qui, par leur âge, leur expérience professionnelle et leurs qualités morales, auraient donné de sérieux gages de compétence, d'indépendance d'esprit et de sérieux. * Professeur à la Faculté de droit de Casablanca