Un homme se réjouit plus que tout autre de la réforme de la Moudawana. Ancien membre du gouvernement Youssoufi, Saïd Saâdi avait lutté en vain pour l'adoption du Plan d'action pour l'intégration de la femme. Il qualifie le discours de SM le Roi de tournant et revient sur la résistance dont a fait l'objet son projet de la réforme du statut de la femme. Aujourd'hui le Maroc : Quelle est votre appréciation du discours de SM le Roi ? Saïd Saâdi : C'est un discours historique qui marque l'entrée du Maroc dans la modernité et la démocratie par la grande porte. Il s'agit d'un tournant si important qu'il sera difficile d'en saisir la portée dans l'immédiat. Rien ne sera pareil dans les rapports entre un homme et une femme dans notre société. La moitié de la société marocaine va participer, sur un pied d'égalité avec l'homme, à l'édification du pays. Pour ma part, je suis comblé. J'ai envie de dire : Merci Majesté. Quels sont les points de convergence et de divergence entre le Plan d'action pour l'intégration de la femme et la réforme de la Moudawana ? Il existe beaucoup de similitude entre les deux textes. Mais par certains aspects, la réforme va au-delà du Plan d'action pour l'intégration de la femme. Elle touche à la philosophie générale dans la relation d'un homme et d'une femme. L'un des fondements de notre société était inséparable du principe de tutelle, d'obéissance. L'ancien code était basé sur l'obéissance de l'épouse. Le prochain est fondé sur la responsabilité partagée des deux conjoints. On parlera désormais de co-responsabilité des conjoints ! C'est un coup fatal porté au patriarcat. Il faut souligner avec force cette innovation révolutionnaire dans la dynamique sociétale. Je propose que le 10 octobre soit retenu comme une date pour célébrer la femme marocaine et initier un débat sur son rôle dans la société. Et quant aux divergences entre le Plan d'action pour l'intégration de la femme et le nouveau code de la Moudawana ? À l'exception du divorce, il n'en existe pratiquement pas. On avait demandé que la répudiation soit remplacée par le divorce judiciaire. La répudiation ne disparaît pas avec la réforme, mais elle est maintenue avec des contraintes telles qu'elle est rendue peu praticable. En tout cas, un progrès indéniable a été fait avec cette réforme. Le combat n'est pas toutefois terminé, mais compte tenu des obstacles surmontés, il est permis d'envisager l'égalité la plus stricte entre les droits d'un homme et d'une femme dans notre société. Comment expliquez-vous que la réforme du code du statut de la femme ne divise pas la société marocaine alors que le Plan d'action avait déchaîné les passions ? Je me réjouis beaucoup que les islamistes approuvent la réforme ! Sur le plan religieux, le Roi est le commandeur des croyants, et tout le monde accepte l'idée qu'il légifère en toute souveraineté. Mais vous savez, les islamistes avaient d'autres objectifs lorsqu'ils sont descendus dans la rue en 2000. Leur marche s'expliquait par des calculs politiciens qui n'avaient rien à voir avec la femme. Elle visait à envoyer un message au pouvoir et au Souverain qui venait d'être intronisé. C'était une démonstration de force, destinée à montrer qu'il fallait compter avec eux. Cela dit, il existe dans le pays des forces conservatrices qui ne vont pas apprécier une réforme qui touche à des privilèges, et qui reconsidère le principe de domination masculine. Il faut s'attendre à une résistance sourde de leur part. Mais un pas de géant a été fait, et soit ces personnes acceptent le chemin tracé par la réforme, soit elles seront dépassées.