Mardi 23 avril, la police des frontières de Praia, capitale du Cap vert, après avoir passé en revue le motif du séjour, les documents relatifs aux réservation d'hôtel et de billet de retour, procédures d'usage dans certains pays, me demande de payer le visa d'entrée, ainsi que de coutume pour les ressortissants marocains. Le visa payé, une des deux douanières qui vise les passeports et les formalités de passage, sort de sa cabine en plexi glace et me demande d'approcher. Je fais signe à ma fille de me suivre pensant logiquement qu'elle me montrait la voie vers le tapis des bagages, bien que très visible, car l'aéroport est lilliputien, le seul vol ce matin-là étant celui de la RAM. D'ailleurs, de la douane on aperçoit le tapis roulant faisant tourner les valises. Je me trompe sur ses intentions. Elle me murmure « vous devez retourner dans votre pays »! Elle poursuit sur le même ton : « votre avion est toujours là, il repart. Allez-y sinon vous dormirez dans l'aéroport avec votre enfant comme celle-là ». Avant de me tourner vers « celle-là » comme elle montrait du regard, je lui demande calmement pour quelle raison suis-je refoulée. La réponse fuse : « vous n'êtes pas autorisée à entrer chez nous ».Pourquoi ? j'insiste, toujours aussi sereinement que laconiquement. Elle hausse les épaules. Je me tourne donc vers « celle-là » une jeune femme au type méditerranéen qui hurle dans une langue incompréhensible pour moi. Une fois dans l'avion j'apprends qu'elle est turque, car elle aussi était venue par le vol de la Royal Air Maroc, sa fillette qui ne doit pas avoir plus de 4 ans, baille à s'en décrocher la mâchoire. Mais pour l'instant, je demande à retourner dans l'avion avant qu'il ne décolle, un agent de l'aéroport nous accompagne.Je demande le remboursement des visas qu'ils ont encaissé sachant qu'ils nous refouleraient. La policière refuse. Je n'insiste pas, j'ai trop peur de rater mon vol et de devoir rester 48 heures avec ces gens qui me semblent tout droit sortis d'un roman absurde ; et je sais d'ores et déjà vu leur agissement qui me paraît désarticulé et malhonnête, que la raison est ailleurs. Je réfléchis vite. Ont-ils quelque chose contre les Marocains ? Pourtant la RAM dessert 3 fois par semaine le pays. Par contre dans le vol que j'ai pris dans la nuit du 22 au 23 avril qui dure 6 heures, ma fille et moi étions les seules Marocaines à bord. Une escale rapide à Bissau, pour accueillir d'autres passagers à bord me donne l'impression que la compagnie est certainement le transporteur numéro 1 de plusieurs pays à destination du Cap vert.Ont-ils, alors, quelque chose contre les femmes indépendantes qui voyagent seules ? L'image de la turque avec sa fille me hante, et je ne peux m'empêcher de faire le parallèle. Dans les deux cas, conjugués ou à part, l'expérience de ce comportement me donne l'envie urgente de retourner dans cet avion et choisir une fois de retour à Casablanca, une destination dans un pays avec des réglementations claires et des policiers qui y obéissent selon les termes des accords internationaux ou bilatéraux concernant les droits d'entrée sur les territoires des pays concernés. Je monte dans l'avion accompagnée d'un agent capverdien, auquel je réitère ma question et à laquelle il répond que le motif de tourisme n'est pas clair. Ma fille le regarde avec des yeux ronds. Elle doit penser que c'est un mauvais kafka qui est en scène. L'agent remet nos passeports à l'équipage. Ils doivent rester sous enveloppe et remis directement au commissariat de police de Casablanca. « Le motif de tourisme n'est pas clair ». Pendant tout le vol, cette phrase résonne comme un leitmotiv. Le Cap Vert ne vit pratiquement que de tourisme. Que pourraient venir faire une maman et sa fille en période de vacances dans un pays africain « frère » qui n'offre que des excursions autour de la nature et quelques sports nautiques d'après google ? A bord, l'équipage m'apprend que 3 mois plus tôt un groupe touristique de 20 Marocains a été refoulé à l'aéroport de Praia. 6 heures plus tard, à l'arrivée, un agent de la RAM nous accompagne au poste de police, où l'on ouvre la fameuse enveloppe avec nos deux passeports et une feuille. Un des agents traduit pour comprendre le motif. Il lit : « la dame qui s'est présentée est gentille, polie, … » Il me regarde médusé et me demande : vous n'avez pas voulu acheter le visa Madame ? Mais si monsieur. Voilà deux feuilles volantes payées. Lui et ses collègues me regardent d'un air surpris, épluchent nos passeports, me disent, presque de concert : rentrez chez vous madame ou prenez un billet ailleurs pour oublier cela. Je crois saisir qu'ils ne comprennent pas que du côté du Cap Vert, on n'ait même pas essayé d'inventer une histoire pour faire passer ce refoulement pour autre chose que ce qu'il montre de façon patente. Je suis leur conseil, m'en vais et monte vers le bureau de la RAM pour choisir une nouvelle destination pour que les vacances commencent enfin après douze heures de vols dont six bien inattendues.