Certaines causes n'ont pas besoin d'ennemis : des soutiens malheureux leur suffisent. La conférence de presse pour la libération des journalistes Omar Radi et Soulaiman Raissouni, prévue le 18 mai à Paris, semble être née d'une absence de bon sens politique ou d'une déplorable dérive. Les objectifs d'autrefois, dont celui de mobiliser le plus large possible en adoptant un discours pesé, pondéré, susceptible d'adhésion auprès des Marocain.e.s — peu importent leurs convictions et leur bord politique — et plus important encore, en tenant compte des droits des plaignant.e.s et des victimes présumées, semblent avoir disparu. Les efforts visant à modérer les agendas et les vocabulaires politiques fortement divergents des défenseurs des deux journalistes, notamment les militant.e.s de sensibilités politiques variées, dont il s'agit de concilier les attentes et de conjuguer les volontés pour parvenir à des formulations mesurées et ajustées des registres de plaidoyer, ainsi que des termes consensuels en lesquelles les campagnes seront menées, ont de même disparu. Aujourd'hui domine le discours d'une composante qui, sans renier l'importance de son implication ni la sincérité de son engagement, ne représente que des courants politiques minoritaires et radicaux. En tant que telle, la radicalité n'est pas un problème : partis, mouvements, associations et activistes radicaux sont des acteurs nécessaires à tout contexte pluraliste. Mais là où ils dominent, la possibilité d'une large adhésion baisse. Et le discours malheureusement monolithique de certains activistes aggrave cette pente : il exclut davantage qu'il n'inclut, rebute de larges franges de la société en faveur d'une infime minorité, et transforme des causes pouvant revêtir de la légitimité auprès du plus grand nombre en luttes politiquement situées. En somme, la participation d'activistes radicaux à une campagne peut être bienvenue, dans une démarche démocratique et inclusive, mais ils ne devraient pas dicter le ton. L'auteur de ces lignes ne prétend représenter qui que ce soit, ni détenir de légitimité pour énoncer ce qui doit être fait et les termes en lesquels cela doit être fait. Il a été solidaire de Omar Radi à sa première et à sa seconde arrestation, et a rempli un rôle auprès du comité de soutien constitué en faveur du journaliste. Il a, lui aussi, été responsable de bien des erreurs, des dérives et des errements, dont en partie la montée en radicalité qu'il dénonce ici. Il a pris ses distances avec ce combat au cours des derniers mois, mais a continué de suivre ses principales évolutions. C'est parce qu'il espère de tout cœur la libération de Soulaiman Raissouni et de Omar Radi, tout en tenant pleinement compte du récit des plaignant.e.s et des victimes présumées, qu'il s'autorise ici une opinion. Que peut-on raisonnablement faire converger sous prétexte de «convergence des luttes» ? Peut-on défendre la cause de deux journalistes marocains en partageant le panel avec une association affiliée à la direction du Front Polisario, qui blanchit des meurtriers en prétendant que l'intégralité des détenus de Gdeim Izik n'est coupable d'aucun crime, et qu'il faut libérer tout le monde, immédiatement et inconditionnellement ? L'on se demanderait qui a atrocement assassiné et souillé les dépouilles de onze agents des forces de l'ordre et de la protection civile. Au cours des dernières décennies, le Front Polisario a développé une diplomatie des droits humains qui ne défend les Sahraoui.e.s de la partie marocaine que pour mieux réprimer ceux des camps. Et car il s'agit de diplomatie, il est question de récits cadrés, de langage soigneusement taillé et de faits drastiquement sélectionnés : l'association ne s'intéresse qu'aux violations enregistrées sur le territoire marocain et oublie celles des camps, paradis de paix civile, de respect des droits humains et de conformité rigoureuse aux conventions internationales. Il n'est guère difficile de s'en laisser convaincre : les interventions du président de l'association sont consultables sur les sites de la radio et de l'agence de presse officielle algérienne, ainsi que dans les organes médiatiques du Front Polisario. On s'étonnerait alors de voir le président d'une association de défense des droits humains, spécialité lutte contre les disparitions, appeler à la guerre et se réjouir de l'enrôlement de chair à canon, ou affirmer que le taux de disparitions forcées au Maroc «est le plus grand à travers le monde». Là encore, il ne s'agit pas de désapprouver l'activisme en faveur de certains prisonniers Sahraouis, à l'exception de ceux coupables de meurtres et d'actes punissables par toutes les législations du monde, en tout lieu et en toutes circonstances. Mais cette défense ne pourrait légitimement advenir que d'instances ou d'institutions indépendantes, avec, éventuellement, le concours de défenseurs des droits humains affranchis du radioguidage du Front. Aujourd'hui, les défenseurs de Soulaiman Raissouni et de Omar Radi, ou à tout le moins ceux qui se soucient véritablement de leur sort, ceux pour qui il s'agit de vies humaines en péril et non de simples instruments politiques, vulgaires allumettes à craquer puis à jeter, ou qui ne s'intéressent à eux qu'en leur qualité de «futurs martyrs» dont les noms iraient grossir une martyrologie qu'ils souhaitent étoffer, ne peuvent se permettre de suivre cette direction. Le risque est celui de s'aliéner le soutien du plus grand nombre. La voie actuelle mène vers une impasse. Le calcul voulant que les deux journalistes devant en principe bientôt sortir à l'épuisement du délai légal de détention provisoire, et qu'il n'y aurait donc rien à perdre en radicalisant le discours, pour ensuite attribuer à l'escalade le mérite de la libération, peut ne pas fonctionner, et pourrait ne pas mener bien loin : il pourrait braquer et raréfier les soutiens. La solution à la détention provisoire de Omar Radi et de Soulaiman Raissouni ne se trouve ni à Paris, ni à Washington, et encore moins auprès d'associations affiliées au Front Polisario — la collusion avec ces dernières détournerait inévitablement de nombreux Marocain.e.s de cette cause. C'est au Maroc, et auprès des Marocain.e.s, que l'effort doit être dirigé. Leur défense gagnerait à s'ouvrir sur la société, adopter un plaidoyer pouvant trouver une adhésion au niveau local et, surtout, tenir compte des droits des victimes présumées. Si un argumentaire en faveur de la fin de la détention provisoire devait être formulé, c'est purement à la sauvegarde de la vie humaine et à la conformité avec la législation en vigueur qu'il devrait préférablement être adossé. Ultimement, il s'agirait de plaider pour un procès équitable, respectueux des droits des plaignant.e.s et des prévenus, et libéré de toute interférence extérieure, pour éviter le déni de justice comme l'emprisonnement d'innocents. Les droits de Soulaiman Raissouni et de Omar Radi, tout comme ceux d'Adam Muhammad et de Hafsa Boutahar, doivent être respectés. Invisibiliser ces derniers, ou prétendre qu'ils n'existent pas, n'avance en rien. Nul ne serait en mesure de contester à Hafsa Boutahar et à Adam Muhammad le droit d'ester en justice et de l'avoir fait. Et nul ne pourrait leur renier le droit de faire entendre leur parole, et de l'avoir fait. C'est dans le cadre du procès à venir que les plaignant.e.s auront à confronter les prévenus : là seulement se décide la culpabilité ou l'innocence. L'accomplissement de la justice : voilà tout ce que l'auteur de ces lignes souhaite aux parties au procès, plaignant.e.s comme prévenus, ainsi qu'à leurs familles.