Gérard Mestrallet, figure emblématique du CAC 40, et président de Paris Europlace, l'équivalent français de CFC, assure que depuis le Climat Finance Day de Paris, le nombre d'institutions financières qui ont pris des engagements n'a fait que se multiplier. Il revient également sur la question cruciale du prix du carbone. Un prix qu'il juge actuellement trop bas. Explications. Finances News Hebdo: En mai 2015, Paris organisait la première édition du Climat Finance Day (CFD). Aujourd'hui, Casablanca prend le relais pour une deuxième édition. Qu'est-ce qui a changé en un an entre ces deux évènements ? Gérard Mestrallet: Le Climate Finance Day de Paris a été le point déclencheur d'un grand mouvement qui n'a fait que s'amplifier depuis. C'est à l'occasion, ou dans la foulée de cette conférence à Paris, au siège de l'Unesco, que de grands investisseurs comme Axa, la Caisse des Dépôts, la Banque européenne d'investissement, mais aussi des sociétés d'investissement américaines comme Fidelity ou Blackrock ont pris des engagements très clairs en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Le CFD 2015 de Paris a donc été un point de départ et de cristallisation. Depuis, il y a eu la COP21 qui a encore accentué ce mouvement. J'ai moi-même été très frappé par l'ampleur du changement. Parce que pendant longtemps, la finance a été en retrait. Mais il y a eu une prise de conscience du rôle que les banques ont à jouer pour elles-mêmes, mais surtout par la nature des investissements qu'elles financent. C'est le cas également des asset managers et des assureurs, qui arrêtent, aujourd'hui, de financer des entreprises productrices de charbon. L'idée est de réduire le coût du capital des entreprises qui sont vertueuses et d'augmenter celui des entreprises qui sont de grosses émettrices de carbone. Depuis le CFD de Paris, le nombre d'institutions financières qui ont pris des engagements n'a fait que se multiplier. Des banques françaises, comme BNP Paribas, le Crédit Agricole ou encore Société Générale, et des banques américaines comme J.P. Morgan ont pris l'engagement de ne plus financer de centrales charbon. Tout cela est intervenu depuis la COP21. Et nous avons mis en valeur, ici à Casablanca, ce qui a été fait à Paris, cette accélération de l'engagement du secteur financier dans l'ensemble de ses composantes. Tout cela a créé un environnement propice. F.N.H. : En quoi le prix du carbone est-il primordial dans la lutte contre le réchauffement climatique ? G. M.: C'est principalement le CO2 qui provoque les changements climatiques. Mettre un prix au carbone, c'est l'application du principe pollueur-payeur. Plus vous émettez de CO2, plus vous devez payer. Si le prix du CO2 est suffisamment élevé, vous incitez les opérateurs à ne pas investir dans du charbon, mais à investir dans du solaire et de l'éolien. Vous incitez également les acteurs à faire de l'efficacité énergétique, parce qu'en réduisant votre consommation d'énergie, vous réduisez vos émissions, et donc vous augmentez la rentabilité des dépenses d'efficacité énergétique. Vous favorisez aussi la mobilité verte, les voitures électriques ou les autobus propres plutôt que les autobus diesel. Mais pour décider d'un investissement, les entreprises, qu'elles soient des entreprises énergétiques ou manufacturières, font des calculs classiques recettes-dépenses. La question est de savoir comment quantifier le climat de manière rationnelle, comment le pricer ? C'est là tout l'enjeu du prix du carbone. F.N.H.: Justement, pour nombre de spécialistes, le prix actuel du carbone est trop bas par rapport aux objectifs fixés par l'Accord de Paris. Quelles sont les solutions ? G. M.: En Europe, depuis les accords de Kyoto, il y a un marché des certificats d'émission. Selon l'offre et la demande, les certificats s'achètent et se vendent, et les entreprises qui émettent du CO2 dans leur processus, sont obligées d'acheter ces certificats. Vous émettez 100 tonnes de CO2, vous achetez 100 certificats. Il se trouve que le prix actuel du C02 résultant de ce marché, autour de 6 euros la tonne, est trop bas. Ce qui fait qu'aujourd'hui en Europe, les centrales à charbon continuent de tourner. Ce prix là n'est pas cohérent avec l'Accord de Paris qui doit aboutir à -40% d'émission de CO2 à l'horizon 2030. Au lieu de 6 euros, il faudrait que le prix soit de 20 à 30 euros. C'est pour cela qu'il faut inventer un nouveau système. J'ai d'ailleurs proposé, avec Pascal Canfin (Directeur général de WWF France) et Alain Grandjean (fondateur de Carbone 4), dans un rapport remis au gouvernement français, la mise en place d' «un corridor de prix du carbone» pour l'Europe, comportant notamment un prix minimum de carbone partant de 20 à 30 euros en 2020 pour atteindre 50 euros en 2030.