Allure sportive, regard sûr, démarche confiante et le ton ferme, Noureddine Miftah, le Directeur de la publication arabophone Al-Ayyam paraît de premier abord impénétrable. Mais lappréhension se dissipe rapidement quand lhomme prend la parole ou quand il esquisse un grand sourire.Ce natif de Casablanca, du mythique Derb Soltane, est laîné dune famille composée de quatre garçons. «Nous sommes une famille très masculine et ma mère est notre chef de bande. Elle a un grand pouvoir à la maison et cest la seule dont je tolère entendre certaines vérités». Son père, couturier de Beldi, est un artisan parti à la retraite actuellement, mais qui a inculqué à Noureddine Miftah, la rigueur. Ainsi, jeune, Noureddine Miftah qui donnait de temps à autre un coup de main à son père, savait pertinemment quil ne devait jamais mêler les fils de soie. Sans quoi, une correction était toujours au bout du fil. Mais, pas uniquement, car son père, partageait avec lui des moments de plaisir en jouant du luth ou du violon. Il apprendra les règles de la musique arabe des mains de son père et il gardera cette passion au jour daujourdhui. Les traits de caractère affirmés de Noureddine Miftah se sont développés très tôt. Il savait quil ne voulait pas être joueur de football ni commerçant ou autre, les seuls modèles qui soffraient à lui dans sa jeunesse. Enfant, il a vite compris que les choix de carrières étaient limités et que son seul moyen de sen sortir était «détudier». Et pourtant, il nétait pas brillant élève, par choix. «Je me rebellais contre le système pédagogique qui faisait de nous des robots qui devaient appendre par cur sans cultiver en nous la réflexion ; et je me suis rebellé contre cette situation en me contentant davoir une moyenne de 10,5 sur 20 chaque année pour passer au niveau suivant». Un parcours sans faute si ce nest une année blanche, à cause dun accident qui la immobilisé pendant trois mois. Il a dû donc refaire une année. Sa personnalité, il va la forger ailleurs, notamment dans ce quartier de Derb Soltane où il sinstruit de la tolérance qui y régnait. Lamitié est un socle dans sa vie et cest justement à ce stade de la discussion que Mouslih, un ami denfance, lappelle de France. «Ça fait 24 ans quon ne sest pas revus. Noureddine est plus quun ami, cest un frère», explique Mouslih. Dans les livres également Noureddine trouvait la compagnie, le savoir et lévasion. Au Lycée, où il avait opté pour la branche littéraire, il aimait bien le cours de sciences naturelles et adorait le professeur pour la simple raison que cette matière lui ouvrait de nouveaux horizons et lui apprenait beaucoup de choses. En fait, Noureddine Miftah est quelquun qui a rapidement compris comment fonctionnait le monde. Il fallait soit entrer dans le moule et être comme tout citoyen lambda, ou bien connaître les règles du jeu et se positionner comme acteur actif dans son environnement. Il a donc opté pour la deuxième voie. Cela sest reflété une fois son Bac en poche par le choix de lInstitut Supérieur de Journalisme à Rabat. «Bachelier, deux concours soffraient à moi et devaient se tenir le 11 septembre, le premier était celui de lEcole Nationale dAdministration et le second celui de lISJ. Je ne voulais pas démarrer ma carrière dans un bureau, alors jai opté pour le journalisme. Parce que pour moi, le journaliste est un vrai historien puisquil rapporte lhistoire, le vécu instantané de sa société. Jy ai adhéré sans réfléchir au statut social quil allait me conférer». Et il démarre fort ses études universitaires en 1983 en adhérant, pour ne pas dire en supportant, à la création de lUNEM, lunion nationale des etudiants marocains. Mal lui en prit, cétait à lépoque où Driss Basri avait pris la Communication et les Médias sous son aile de «fer». Le bureau de lUNEM fut fermé et bon nombre détudiants furent exclus. Noureddine Miftah, on a préféré lavoir sous les yeux. Quatre ans, où il sexercera au militantisme toutes catégories confondues, notamment la cause palestinienne. Quitant sa ville natale pour venir sinstaller à Rabat pour les études, il ne logera pas aux cités universitaires, ni Souissi I ni Souissi II, mais à Souissi III, cétait son QG. Il sagit en fait des quelque 35 piaules quil a louées en lespace de quatre ans seulement. Spécialisé en presse écrite, Noureddine Miftah est à la limite contraint dintégrer le service public et démarre sa vie active au sein du ministère de la Communication en 1987. «Quand je suis arrivé au ministère à lépoque, jai vu un fonctionnaire qui y avait servi pendant 15 ans et il était tout simplement lessivé. Je me suis dit que ce nest pas ce que je voulais comme avenir». Son vu fut exaucé plus vite quil ne lavait espéré. En effet, à lépoque, il rédige un article sulfureux sur larabisation de lenseignement. Un article qui fut publié dans le quotidien Al Ittihad Al Ichtiraki, le porte-étendard de lopposition et qui était le quotidien le plus lu avec un tirage quotidien de 1.200.000 exemplaires. Larticle fut signé par les initiales N. M., ce qui ne passa pas inaperçu au ministère. Contacté par le secrétaire général dudit ministère, Noureddine Miftah ne nie pas les faits et il est immédiatement suspendu à six mois de son intégration définitive au ministère. Le hasard fait bien les choses, car quelque temps après, en 89 plus précisément, il intègre Al Ittihad Al Ichtiraki, sans pour autant être partisan. Et là, il laisse exploser tout son talent de journaliste reporter. Sa plume acerbe lui vaut la vedette au sein du quotidien où il brille par des enquêtes et des reportages inédits. Il a été le premier à avoir réalisé un reportage sur Tazmamart, il part à Rich le tout sous le pseudonyme dAli Bakous. Il goûtera aux délices de lenseignement du journalisme en inculquant les principes du métier pendant plus de 11 ans à des étudiants, dont les plus brillants sont aujourdhui parmi son équipe rédactionnelle. «Le journalisme nest pas une question détudes, cest un don. Ou on la ou on ne la pas». En 1994, il quitte Al Ittihad en gardant un très bon souvenir pour participer avec Abdelhadi Alami à la création de Maghrib Al Yaoum. «Cétait une expérience magnifique avec des moyens techniques importants. Nous étions une bonne équipe qui bénéficiait dune grande liberté et dune grande marge de manuvre». Lexpérience durera deux ans pendant lesquels mûrissait le projet dAssahifa. Noureddine Miftah insistait pour garder la même équipe rédactionnelle et va ainsi à la rencontre de Boubker Jamaï pour lui exposer le projet. «Lidée était de créer une publication hebdomadaire généraliste qui donne un nouvel angle de vue aux gens. Une publication qui met des mots au vécu des gens, une nouvelle lecture de la vie et qui exprime ce que les gens vivent sans pouvoir lexprimer». Boubker Jamaï est preneur de ce projet clé en main. Noureddine Miftah chapeautera la publication pendant trois ans et demi, non sans soucis. Des procès par ci, de lintimidation par là. Il est convaincu que quand une personne vous cherche noise de manière indirecte cest quelle est lâche ou à peur de vous, ce qui le rendait confiant et le motivait à poursuivre sa voie. Mais Noureddine Miftah reconnaît que tous les procès ne sont pas oppression. Il ne fuit jamais devant ses responsabilités. Puis vint Al Ayyam. «Dans mon équipe figurent certains de mes étudiants et je suis fier de dire quils sont meilleurs que moi et ils sont la clé du succès dAl Ayyam». Croqueur de livres, notamment ceux de Garcia Marquez ou encore Abderrahmane Mounif, Noureddine Miftah manie très bien la langue arabe, «Lourat Addad», et pousse la réflexion. A croire quil est philosophe : «La vie est belle et pourtant je crains la vie plus que je ne crains la mort». Une phrase qui en dit long sur lui.