Le Mexique et le Brésil Les premières étapes, mexicaine et brésilienne, de la tournée royale en Amérique latine donnent le ton d'une ouverture nécessaire retardée par les vicissitudes du passé, sur un sous-continent dont le poids, le rôle et l'évolution sont devenus majeurs. Au-delà de la mise à niveau diplomatique, c'est là une dimension nouvelle qui peut désormais être instituée et approfondie entre le Maroc et cette autre Amérique qui est plus proche qu'on ne le croit. Longtemps le Maroc sembla, dans son histoire, tourner le dos à la mer. On avait même pu dire, récemment encore, qu'il avait une mentalité insulaire, tant il pouvait sembler peu soucieux des mouvements qui transformaient le monde au-delà de ses propres rivages. Les longues tournées du roi Mohammed VI en Afrique et aujourd'hui en Amérique latine viennent bousculer ce schéma qui était nourri par la prédominance du rapport à l'Europe et des relations ambivalentes au sein du Maghreb et du monde arabe. Longtemps aussi, les relations avec les autres régions du monde restaient dictées par les exigences immédiates, d'ordre diplomatique, en rapport avec l'activisme des émissaires du pouvoir algérien visant à isoler le Maroc tous azimuts à propos de la question du Sahara. Exploitant jusqu'à l'usure son image surfaite de parangon du tiers-mondisme militant et socialisant, ce pouvoir n'a cessé de faire jouer à son voisin marocain le rôle de repoussoir archaïque, réactionnaire, inféodé à l'Ouest, etc. Il est vrai que par son absence et son caractère longtemps timoré, la diplomatie marocaine n'a pas su toujours contrecarrer une telle mise à l'index. Considérant à tort que les efforts devaient être axés sur les liens privilégiés avec les principaux décideurs à l'échelle internationale et avec quelques chefs d'Etat amis, cette diplomatie a négligé le travail en profondeur dans les sociétés et les instances représentatives de leurs opinions publiques. L'ère du dialogue Sans doute, le contexte de la guerre froide avait-il été préjudiciable au Maroc aussi en Amérique latine où il y avait une très forte division entre les dictatures établies et les oppositions révolutionnaires, souvent en dissidence armée. La tournée royale permet de remettre les pendules à l'heure et d'envisager sur de nouvelles bases les relations, restées en jachère, avec ces pays où le Maroc a beaucoup à apprendre et à méditer et avec lesquels des ponts d'ordre culturel et économique peuvent être établis. Ebauché depuis les visites effectuées par l'ex-premier ministre Abderrahmane Youssoufi, le dialogue du Maroc avec les dirigeants latino-américains s'est révélé rapidement fructueux pour notre diplomatie. C'est ainsi qu'après le Pérou et le Salvador, plusieurs autres pays ont retiré leur reconnaissance de la RASD: république dominicaine en 1999, Guatemala, Paraguay, Colombie, Nicaragua, Costa Rica et Honduras en 2000, Equateur en 2004. La visite effectuée par le Souverain en octobre 2003 au Mexique et ses entretiens avec le président Vicente Fox ont été qualifiés de très encourageants et a constitué le prélude à la tournée actuelle qui se veut à caractère plus stratégique. Premier partenaire du Maroc en Amérique latine, le Mexique s'est montré très réceptif à la nouvelle image du pays qu'incarne le jeune roi. Etant lui-même le symbole du changement politique au Mexique, depuis son élection en 2000, qui a permis la première alternance au pouvoir depuis 75 ans, le président Fox est attentif à l'évolution entamée au Maroc. L'évocation par le Souverain de “l'itinéraire original” emprunté par le Maroc “pour bâtir une société démocratique, moderne et solidaire” souligne une préoccupation commune à laquelle le président mexicain est lui aussi très sensible, malgré les difficultés rencontrées sur la voie des réformes entreprises. Les deux chefs d'Etat ont tenu ainsi à mettre en exergue la convergence entre les deux Etats et la volonté d'une coordination de leurs positions. Il s'agit tout d'abord “d'œuvrer à l'exploitation optimale des ressources et potentialités considérables” que recèlent les domaines d'échanges et de coopération entre les deux pays. Il s'agit aussi de s'impliquer plus résolument dans l'ouverture des espaces de libre-échange, tant avec l'Europe et les Etats-Unis, que dans le cadre du Mercosur (marché commun sud-américain). Nouvelle image du Maroc Cette image d'un Maroc engagé dans un processus de réformes et d'ouverture rend plus audibles la cause de son intégrité territoriale du Sahara et ses explications quant à la réalité historique qui la sous-tend et les implications régionales du différend avec l'Algérie. Tout en rappelant le cadre onusien du règlement recherché, les deux chefs d'Etat ont cependant évoqué les nouveaux développements de cette affaire induits par les propositions marocaines en faveur d'une “solution politique négociée et définitive” avec toutes les parties concernées. Prévue en février 2005, la visite du président Vicente Fox, permettra de consolider un partenariat dont les premiers volets seront examinés par une commission mixte qui planchera sur les domaines de coopération prioritaires envisagés, notamment l'agriculture, l'eau, l'éducation et le dialogue politique. L'étape brésilienne de la tournée royale est encore plus significative de l'évolution de l'atmosphère des relations entre le Maroc et l'Amérique latine. On a pu remarquer le caractère très détendu et plus confiant avec les nouveaux dirigeants de gauche du Brésil. Les questions essentielles du développement des échanges dans le cadre d'un accord avec le Mercosur et de la valorisation du poids et du rôle du Sud dans l'optique d'un monde multipolaire ont ainsi pu être abordés sans réticence. Ces questions où figure la candidature du Brésil à un statut permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, mobilisent la diplomatie brésilienne et devraient aussi élargir l'horizon de celle du Maroc. Il en est de même des aspects liés aux problèmes de la transition démocratique qui, au Brésil, est une des plus réussies ainsi que de l'alternative du développement économique et social équilibré. Le président Lula da Silva a évoqué “les avancées démocratiques” enregistrées au Maroc et le Souverain a fait l'éloge du rôle du président brésilien en matière de lutte contre la pauvreté. La bonne volonté est à l'ordre du jour et la signature de trois accords (sur le tourisme, l'échange commercial avec le Mercosur et la coopération entre Académies diplomatiques) ainsi que la décision de créer une commission mixte ont été salués comme les signes d'une entente et de liens libérés de toute entrave. La préparation d'un sommet entre pays latino-américains et ceux membres de la Ligue arabe, à l'initiative du Brésil, veut avoir une portée significative dans la redéfinition des rapports Sud-Sud et il est prévu que la réunion préalable des ministres des affaires étrangères de ces deux ensembles se tienne prochainement au Maroc. C'est ainsi que la tournée royale en Amérique latine qui se poursuivra au Pérou, au Chili et en Argentine, s'est d'emblée placée sous le signe de la nouvelle image du Maroc à faire valoir et de l'ébauche d'une ouverture sur les plans politiques, de coopération et d'intensification des échanges. Il ne fait aucun doute qu'un tel Maroc a plus de chances d'être écouté et compris, si tant est que l'effort restera soutenu.